Vous le savez, le magazine
Game Informer a eu l’occasion
de s’essayer durant quelques heures à Metal Gear Solid V : Ground Zeroes, dans les bureaux de
Kojima Productions à Tokyo. À cette occasion, le magazine américain s’est également entretenu avec
Hideo Kojima et
Yoji Shinkawa pour discuter de leur travail sur la série. Une entrevue que je vous propose de découvrir sans tarder.
Conscient que Hideo Kojima a essayé de nombreuse fois de se détacher de la série pour ne pas rester
"le gars de Metal Gear", Game Informer interroge le papa de Snake sur les avantages éventuels, s’il y arrivait un jour, de passer le flambeau comme l’a fait Ridley Scott pour le film Alien.
« Hé bien, la série après James Cameron... » dit amusé Hideo Kojima, faisant allusion à la qualité déclinante de la série. « Je vois ce que vous voulez dire. Si Kojima Productions était un restaurant et que la toque du chef changeait de tête, la saveur des plats changerait également. La franchise a tendance à devenir plus ouverte, comme Alien. Pour être honnête, j’ai voulu changer en faisant quelque chose de similaire. Je ne sais pas si la marque
Metal Gear est parfois un peu lourd à porter. La franchise est difficile à gérer. Mais jusqu’à présent, je ne suis pas parvenu à passer le flambeau à quelqu’un d’autre. Avec
Metal Gear Rising, qui est un spin-off, ça s’est bien passé. Idéalement, j’aimerais démissionner et n’être que le producteur de
Metal Gear, pour pouvoir me consacrer à d’autres jeux. Mais cela s’avère être très difficile. »
Metal Gear Solid est resté l’un des rares jeux vidéo japonais à continuer de déchaîner les passions en Occident. D’une manière générale, les dernières années ont malheureusement affaibli la créativité japonaise. C’est pourquoi, le magazine américain aimerait connaître le secret de Hideo Kojima.
« J’essaie de ne pas penser comme un développeur japonais. Parce que au Japon, Metal Gear ne connait qu’un certain succès. Les gens, ici, ne sont pas aussi attachés à Metal Gear.
"Passer le flambeau" n’est pas quelque choses que vous entendez souvent au Japon. Alors j’essaie de ne pas me considérer comme tels. C’est exactement comme pour les films japonais. Si vous faites un film japonais destiné uniquement au marché local, il va avoir une influence et un budget limités. Aussi, si vous écrivez une histoire destinée à un public japonais dans ce cas il ne faut pas s’attendre à un succès planétaire. »
Ainsi, Hideo Kojima met en cause les différences culturelles entre le Japon et l’Occident.
« Les écrivains au Japon écrivent quatre ou cinq histoires en parallèle et ils publient successivement, par chapitre, dans des magazines, etc. Parfois, ils ne peuvent pas penser à une fin. C’est un gros problème que nous connaissons dans le marché japonais. Par le passé, les jeux n’avaient pas de dialogue parlé. De nos jours, on y parle beaucoup et il y a de nombreuses expressions. Nous devons donc réfléchir sur la façon d’avoir un impact sur l’ensemble du marché international. Comment faire un jeu pour ce marché. Par exemple, disons que dans un film japonais, nous y mettions un personnage très célèbre au Japon. Vous n’êtes pas sûr que ça marchera sur le marché international. Nous devons donc réfléchir pour résoudre ce problème. Comment créer quelque chose qui plaise au quatre coins du monde.
Si vous voulez qu’un jeu connaisse le succès uniquement au Japon, alors vous devez mettre le Japon comme le seul lieu où se déroule l’histoire. Ou bien, il y a un autre moyen. Comme Hollywood : ajouter des aliens qui détruisent la planète, pour qu’il y ait quelque chose qui nous relie au monde. »
Si Hideo Kojima ne se considère pas vraiment comme étant un développeur japonais, il n’hésite pourtant pas à travailler avec ses compatriotes sur différents projets. À titre d’exemple, on peut citer Capcom pour Monster Hunter et
Metal Gear Solid : Peace Walker.
« Ce n’est que récemment qu’un grand nombre de développeurs japonais se dirigent vers d’autres directions que les miennes. Donc, je ne suis pas vraiment proche de quelqu’un parmi les développeurs japonais. Il est difficile de parler de nos rêves ensemble parce qu’ils sont différents. Dans l’industrie japonaise, je me sens plus proche de Platinum Games. J’ai de bons amis là-bas. Sinon, il y a les développeurs indépendants. En ce moment, il est plus facile pour moi de parler de mes rêves avec les réalisateurs de films. Je me sens plus à l’aise avec eux. »
Et quand Game Informer évoque Suda51, avec qui Hideo Kojima a récemment travaillé sur la série radiophonique "
Sdatcher", Hideo Kojima soulique que « Suda n’est pas considéré comme un développeur de jeu, mais plutôt comme étant un gourou culturel. »
Même si Hideo Kojima a du mal à se défaire de
Metal Gear Solid, le magazine américain a demandé au Japonais s’il avait d’autres aspirations que les jeux vidéo.
« Avant tout, je tiens à créer des jeux. J’aimerais faire d’autres jeux, des jeux indé, ou bien quelque chose de totalement différent, avec un gros budget. Et si ce n’est pas dans le domaine du jeu vidéo, j’aimerais être impliqué dans la création d’un film, ou dans l’écriture de romans. J’ai bientôt cinquante ans, il ne me reste donc plus beaucoup de temps. Si je devais faire une liste des choses que je souhaiterais faire avant ma mort, la liste serait fort longue. Parce qu’à mon âge, on commence à penser à d’autres choses. »
Hideo Kojima n’est pas uniquement le Big Boss de Kojima Productions. Il a également de hautes responsabilités au sein de Konami. L’éditeur japonais place d’ailleurs de grands espoirs dans les réalisations de Kojima Productions, avec, entre autres, le financement d’un nouveau moteur graphique, le
Fox Engine.
« J’aimerais pouvoir mettre tous mes efforts et tout mon temps dans la création d’un Metal Gear. C’est ce que Rockstar fait avec GTA. Malheureusement, je ne peux pas me le permettre. Kojima Productions est un business. Nous avons d’autres projets parallèles et nous devons avoir un certain équilibre avec Konami. Trouver cet équilibre qui nous permet de travailler sur tous nos projets est loin d’être facile. »
Si Hideo Kojima est un grand fan de cinéma, il consomme beaucoup de séries tels que The Walking Dead ou encore Sherlock, pour ne citer qu’eux. Dernièrement, le papa de Snake s’est lancé dans une autre série de choix, qu’il affectionne particulièrement.
« J’ai commencé à regarder la série Breaking Bad, avec un peu de retard. Je viens juste de terminer la deuxième saison. En raison de cela, mon moral était au plus bas pendant une semaine. J’ai vraiment été bouleversé parce que je n’étais pas le seul à avoir pensé à ce genre d’histoire. Les thèmes de Breaking Bad, la façon dont cela est mit à l’écran, ... En fait, j’ai essayé de créer un jeu avec les thèmes similaires, d’une façon similaire mais il aurait été difficile d’obtenir l’approbation de la compagnie. La manière dont ces gars ont réalisé cette série est un véritable succès. En tant que créateur, j’en suis très jaloux. »
Un film qui a récemment marqué Hideo Kojima, est le film Gravity du réalisateur mexicain,
Alfonso Cuarón. « Gravity est un film sur l’espace. Il n’y a pas de son, il n’y a pas de lumière. Seulement deux acteurs. Ils ont des casques qui recouvrent leur visage durant une bonne partie du film. Ils sont juste perdus le reste du temps. C’est un sujet qui serait très, mais alors très difficile de faire accepter par notre compagnie. Ça a dû être également le cas à Hollywood. Mais malgré cela, Alfonso Cuarón a réussi. Il a écrit l’histoire avec son fils Jonas et il en a fait un énorme succès. En tant que créateur, ça a un grand impact sur moi. Pouvoir créer quelque chose qui sort de l’ordinaire, réaliser quelque chose que vous pensiez ne pas être en mesure de faire, et que cela devienne un succès. »
En parlant de "cinéma mexicain", l’année 2013 a été une année riche pour les films de science-fiction avec l’impressionnant Pacific Rim de
Guillermo del Toro, qui est justement l’un des amis de Hideo Kojima.
« La personne avec laquelle je me sens vraiment à l’aise c’est Guillermo del Toro. C’est fantastique de discuter avec lui. La dernière fois, nous sommes allés au karaoké et j’espère pouvoir y retourner bientôt avec lui. » Et lorsque Game Informer demande à Hideo Kojima s’il voudrait travailler un jour à ses côtés, le papa de Snake répond sans hésiter « Oui, ce serait formidable ! »
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Hideo Kojima, Guillermo del Toro et Yoji Shinkawa.
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Les événements de
Metal Gear Solid V : The Phantom Pain Pain se dérouleront en 1984. Curieux, le magazine Game Informer interroge Hideo Kojima sur ce qu’il faisait à cette époque, il y a trente ans déjà.
« J’avais 20 ans, j’étais au collège. Ça devait être durant le deuxième semestre. C’est à cette époque que j’ai commencé à jouer à la Famicom. J’étais au plus bas dans ma vie. Les temps étaient difficiles. Le fait est que, à l’origine, je voulais faire des films mais l’environnement dans lequel je me trouvais m’empêchait de pouvoir réaliser mon rêve. J’ai donc abandonné. J’étais dans un collège ordinaire. J’étais en plein doute.
Je pense que cette année-là, je jouais à Urban Champion, mais je n’en suis pas sûr. Toutefois, c’était dans ces eaux-là. Je n’avais pas l’occasion d’aller souvent dans les salles d’arcade, là ou je vivais. Tout ce qu’il y avait, c’était quelques machines au centre commercial, mais pas beaucoup. Avant, je n’avais pas trop de contact avec les jeux vidéo. Je n’avais pas de PC, mais j’allais chez des amis pour y jouer. Entre 1982 et 1984, j’ai finalement commencé à fréquenter de plus en plus souvent les salles d’arcades. »
L’histoire de
Metal Gear à
Metal Gear Solid : Peace Walker est plutôt complexe. Raconter les 27 ans d’histoire de la saga à quelqu’un, sans se prendre les pieds dans le tapis, n’est pas chose aisée. « Je n’ai jamais eu l’intention de créer une histoire complexe » explique Hideo Kojima. « Ça n’a jamais été un de mes objectifs et ce n’est pas quelque chose je désire. Idéalement, ce que je souhaite faire, c’est, par exemple, créer une histoire qui semble très simple, très facile à comprendre, du moins en apparence. Mais une fois que l’on commence à creuser, on y trouve une flopée de détails. En général, j’essaie de faire en sorte d’avoir une histoire qui est simple, à première vue.
Après avoir fini un jeu, je commence à penser à l’histoire suivante. Je n’avais pas l’histoire complète dans ma tête lorsque j’ai créé le premier épisode. En travaillant ainsi, il peut arriver que vous perdiez de vue certains détails de l’histoire, les changer ou apporter des incohérences. Dès lors, je dois créer de nouveaux chemins pour continuer l’histoire. Toutefois, s’il y a une chose que j’essaie d’éviter, c’est de ne pas sacrifier certains éléments afin de garder l’histoire originale cohérente. Mais parfois, je dois apporter certaines incohérences pour obtenir ce que je souhaite raconter dans l’histoire. »
Malgré la complexité et les profondeurs du scénario de la saga, Kojima Productions ne s’aide pas d’une bible dans laquelle toute l’histoire et tous les personnages y seraient décrits. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mais Kojima Productions préfère d’avantage se concentrer sur le contact humain et l’expérience de l’équipe.
« Il y a des membres qui sont ici depuis longtemps et qui savent comment les choses fonctionnent. Nous n’avons pas de bible pour nous aider, mais ces membres connaissent leur sujet. Il savent ce qui doit rester cohérent pour les joueurs et ce que nous essayons toujours d’offrir. Je crée des jeux d’une façon bien précise et j’essaie de garder l’équipe qui connaît toutes ces choses sur le bout des doigts. Par le passé, nous avons essayé de créer une bible mais personne ne la consultait. Nous avons donc décidé qu’il était plus simple de transmettre ces infos de vive voix, de personne à personne. »
Pour conclure leur entrevue, le magazine américain s’est intéressé au processus d’écriture de Hideo Kojima pour la conception d’un nouveau Metal Gear Solid.
« En principe, je réfléchis aux éléments de gameplay que je veux mettre dans le jeu en même temps que le genre d’histoire qui sera racontée. Une fois que c’est fait, j’essaie de penser au cadre, de mettre en place l'intrigue de l'histoire, et le type d'environnement que le jeu proposera. Puis, je commence à en parler avec l’équipe. Avant, j’essayais d’écrire l’histoire tout seul. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Par exemple, pour le Codec, je réfléchis aux différents sujets qu’aborderont les conversations. Ensuite je soumets mes idées à notre équipe d’écrivains. Ils écrivent tout cela, puis je vérifie leur travail. Normalement, j’essaie d’écrire le plus possible, moi-même. »
Last but not least, c’est au tour du talentueux
Yoji Shinkawa de satisfaire la curiosité du magazine. Car depuis
Metal Gear Solid 1 sur PlayStation, l’artiste japonais travaille de moins en moins seul. Aujourd’hui, il est à la tête d’une équipe, en tant qu’art director.
« Pour être honnête, la gestion d’équipe n’est pas mon point fort. Je ne sais même pas m’organiser moi-même. C’est une tâche difficile de gérer toute une équipe. Encore à ce jour, j’adore passer la plupart de mon temps à dessiner. Je ressens toujours le besoin d’apprendre de nouvelles choses. J’ai toujours l’envie de m’améliorer. Une des choses qui a changé, c’est qu’avant, je créais tout moi-même, y compris les illustrations des personnages. Aujourd’hui, nous travaillons en équipe
[concept art team]. Toute l'équipe travaille main dans la main. Je ne sais pas si je devrais appeler ça de la
"gestion d’équipe". On apprend beaucoup de choses des uns des autres. »
Le style de Yoji Shinkawa est unique avec ce mélange de manga saupoudré de comics et de bd franco-belge. Et s’il aime multiplier les traits, si ses contours ne sont jamais francs et toujours flous, Shin-chan s’inspire inévitablement des animés.
« Pour
Metal Gear Solid V, ces éléments
[qui s’inspirent des animés] ne doivent pas être trop évidents parce que nous voulons créer un jeu dont le design soit apprécié aux quatre coins du monde. Mais c’est inévitable, il y aura encore des éléments typiquement japonais. Il est possible que, parce que la plupart de l’équipe est japonaise, il reste quelques vestiges de cette culture de manga et d’animé que nous avons en nous. Ce n’est pas quelque chose que je souhaite supprimer complètement. Parce que si nous le faisions, la saveur de nos créations ne serait plus la même. Je me concentre toujours pour créer un design qui peut être apprécié par n’importe qui, quelque soit sa culture. »
Si vous êtes arrivé jusqu’ici, c’est que vous avez probablement eu le courage de lire cet article jusqu’à la fin, et je vous en remercie. En guise de bonus, comme le fait Kojima Productions à la fin de ses génériques de jeux, voici un petit passage amusant de l’interview qui aurait peut-être pu se trouver dans
notre compte rendu consacré à Metal Gear Solid V : The Phantom Pain... Lorsque Game Informer demande à Hideo Kojima si The Phantom Pain pourrait combler le vide entre les histoires de Big Boss et Solid Snake, le développeur japonais esquive pudiquement le regard tout en leur demandant, en plaisantant, de faire de même, de peur de révéler quelque chose avec un clin d’oeil non maîtrisé. « Je suis tellement tenté de vous répondre, mais je ne devrais pas » dit Hideo Kojima. « Ce que je voudrais dire c’est qu’il y a une manière précise pour ces jeux de s’imbriquer ensemble. »