Lors d'une première confrontation de quelques heures avec le mode solo de Metal Gear Survive, l'appréhension a fait place à la surprise. Où est passé le spin-off un peu mou du genou et centré sur le multi qu'on était en droit d'attendre ? L'habit ne fait pas le moine et l'add-on opportuniste de Metal Gear Solid V s'éloigne en fait assez radicalement du modèle qu'on lui prédisait. Impitoyable et technique à l'extrême, il fait cavalier seul dans un genre à part, le "RPG-TPS survivaliste" à la Fortnite, et s'adresse donc à un public averti.
Prendrez-vous goût à cette idée particulière de l'enfer ?
Une longue entrée en matière
Dès le départ, au moins, les choses sont claires :
Survive qualifie lui-même son contexte narratif de "pseudo-historique", au même titre que les missions annexes de
Ground Zeroes. Mais s'il plonge les maigres racines de son scénario dans le prologue de
MGSV (auquel il emprunte, mine de rien, une cinématique quasi-entière), c'est pour en sortir aussitôt. Comme pour dire, « ça c'est fait, maintenant on entre dans le vif du sujet ».
C'est la première surprise :
Survive prend le temps de construire son histoire. Beaucoup de temps. La longue introduction du jeu s'appesantit sur un contexte qui se veut complexe et mystérieux, ponctué avec précaution de références au style de la série. Signe que les mèmes de
Kojima ont survécu à son départ, une succession de "figures imposées" rappellent tour à tour le début de
TPP,
MGS3 et
MGS1. On se sent également en territoire connu quand un personnage répondant au pseudonyme de Goodluck se met à décrire l'univers du jeu à grand renfort de littérature et mythologie, lors de conversations rappelant le codec. L'identité de la série est palpable dans ces premiers instants, mais moins par la suite.
Le monde parallèle dans lequel se déroule
Survive se nomme Dité, comme la ville où sont réunis, chez Dante, les pires criminels (les références à l'enfer et au purgatoire sont nombreuses). Votre avatar y est envoyé de force à travers un trou de ver afin d'exploiter l'énergie des "errants", les créatures hostiles qui peuplent Dité, ainsi que pour découvrir le sort de l'unité Charon Corps, chargée de la même mission et désormais disparue. Un prétexte comme un autre pour justifier les évènements, bien qu'on n'en apprenne pas davantage, à ce stade, sur les incohérences soulevées dès l'annonce du jeu (comme la présence de la Mother Base de Diamond Dogs dans Dité).
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Votre premier ennemi : une porte en bois à détruire avec une lance improvisée...
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Un gameplay pas si familier
Cette première succession de cinématiques se marie, plus ou moins élégamment, avec la création par étapes de l'avatar. Et lorsqu'on prend enfin le contrôle de ce dernier, c'est pour débuter un long tutoriel dont on n'a jamais vraiment l'impression de sortir, même après plusieurs heures de jeu. C'est qu'il y en a, des choses à apprendre : en dépit de toutes les apparences, le gameplay n'est pas celui de
MGSV. Il en est même, en quelque sorte, l'antithèse.
En règle générale,
The Phantom Pain octroie au joueur une liberté généreuse dans l'exploration d'un univers majoritairement horizontal.
Survive opère différemment. Il prend le joueur par la main et le tient fermement. Il lui fait suivre une voie toute tracée et ne relâche sa prise que lors de phases de jeu majoritairement verticales. Curieusement, c'est une bonne dynamique, voire la meilleure idée des développeurs. Car
Survive n'est pas un jeu d'espionnage en open world. Il n'a pas les mêmes priorités que
MGSV. Le hasard lui a légué ce monde ouvert qui semble l'embarrasser, et qu'il ponctue de missions qui pourraient tout aussi bien se trouver dans un menu (c'est d'ailleurs ce qui se produit en co-op). C'est aussi peut-être la raison pour laquelle
Survive accorde une place plus importante que
TPP aux environnements intérieurs, en jouant sur l'oppression qu'ils procurent et la tension du corps-à-corps avec les ennemis.
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Pendant les premières heures de jeu, il y a de quoi se sentir submergé par la gestion de la base et du personnage.
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Tout en conservant un embryon d'open world, le jeu se construit de manière tentaculaire autour d'un hub central, à partir duquel on mène des expéditions chirurgicales. L'objectif est généralement de se rendre rapidement à un endroit et d'en revenir tout aussi vite (ce qui est doublement vrai dans les vastes zones sans oxygène). D'où l'importance cruciale du système de téléportation qu'on débloque au fur et à mesure.
D'où, aussi, les deux nouveautés de gameplay les plus désarçonnantes : l'apparition des jauges de survie et la disparition des checkpoints. Au début du jeu, la combinaison de ces deux éléments donne à l'aventure un côté très aride et avare — disons-le clairement, punitif.
Survive ne prend pas la survie à la légère et n'hésitera pas à tuer votre avatar, purement et simplement, si son estomac se vide. Et vu le rythme auquel il se vide, vous avez plutôt intérêt à prévoir de grandes quantités d'aliments sains. En l'absence de pharmacie au coin de la rue (les médicaments font partie des ressources rares), l'eau croupie ou la viande crue ne sont pas conseillées, sous peine de vomissements répétés, accompagnés de flous artistiques à l'écran et de toutes les joyeusetés sonores qu'on peut imaginer. Pour ménager vos yeux et vos oreilles (non, sérieusement, les effets visuels deviennent rapidement très irritants), chasse et cuisson feront donc partie de vos activités régulières, quoique des baies sauvages pourraient faire l'affaire, le temps de débloquer (assez tardivement, apparemment) vos compétences agricoles. "Mangez quand vous avez faim, buvez quand vous avez soif", lance un personnage du jeu comme s'il détenait le secret de l'existence. Plus facile à dire qu'à faire.
Ce dur labeur des premières heures, ne serait-ce que pour tenir debout et éviter que l'écran tourne en permanence au flou intégral (voir photo), ne se poursuivra peut-être pas tout au long du jeu mais il donne le ton : l'abus des promenades de santé n'est pas au programme, car toute action que vous effectuez se paie cher, que ce soit en ressources ou en temps.
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Exemple type d'une situation de jeu saturée et illisible, à laquelle il faut ajouter l'agression sonore perpétuelle des bruits d'estomac du personnage.
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Difficile à endurer
La jauge que vous surveillerez le plus souvent, c'est l'endurance. Elle régule tous vos déplacements, hormis la simple marche. S'il vous prend l'envie de sprinter, mais aussi de vous accroupir ou de ramper, jetez d'abord un coup d'œil à votre stamina et ne tombez pas dans le rouge, sous peine d'être immobilisé pendant plusieurs secondes qui paraissent une éternité. Adieu la souplesse de Venom Snake, place à un nouveau genre de mercenaire, celui qui économise chaque mouvement. Il ne sera pas rare de fuir des hordes d'ennemis en trottinant doucement : une situation de tension extrême qui, dans le feu d'action, ne vous fera pas rire. La mort est extrêmement rapide en cas de contact répété avec les "errants" et, comme on l'a dit, il n'y a pas de checkpoints. Voilà pourquoi ramper ou s'accroupir se monnaie cher : ce sont les mouvements les plus efficaces pour échapper à la vigilance (très relative) des ennemis.
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Le système d'endurance pousse les nerfs à bout, surtout quand votre personnage s'essouffle en rampant quelques mètres.
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Tout l'intérêt du jeu est basé sur cette avarice imposée de déplacements. Aussi frustrante qu'elle puisse paraître, c'est elle qui force le joueur à sortir des sentiers battus et renouer avec le plaisir de l'improvisation. Car, comme prévu, l'IA est assez rudimentaire (voir photo). En jouant avec la verticalité des décors, vous pourrez berner vos adversaires très, très facilement. Leur seule chance est donc de vous battre à la course (pardon, au trot)… Ou alors, de vous submerger par leur grand nombre. Comme l'enseigne la première mission, la fuite est toujours une bonne solution. Dans d'autres cas, mieux vaut opter pour la défense massive : ne sortez jamais sans quelques clôtures et sacs de sable au creux de votre poche, ils deviendront bien vite vos meilleurs amis, et l'une des nouveautés de gameplay les plus intéressantes.
La prévoyance constante que requiert
Survive passe aussi par la gestion de base très fouillée, entièrement nécessaire. Dans un premier temps, il y a de quoi se sentir perdu, mais on finit par développer des automatismes pour devenir un virtuose des menus de sélection. Et puis, peu à peu, on se prend à tenter des missions annexes, sobrement nommées "demandes". La perspective d'une exploration un peu plus poussée de l'environnement pointe le bout de son nez (y compris à travers la collecte d'objets et d'équipements bien cachés) mais on sent que le campement doit d'abord s'étoffer pour permettre des escapades plus longues. Apparemment, la liberté, ça se mérite.
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Effectivement, les ennemis n'ont plus toute leur tête. Celui-ci a martelé la grille consciencieusement pendant 5 minutes alors que la voie était libre, juste à côté de lui. (Mieux vaut, dans ce cas, mettre un terme à son embarras.)
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Un petit goût de 2015
Visuellement, vous retrouverez le
Fox Engine là où vous l'aviez laissé avec
TPP. Enfin, presque. Comme on l'a vu dans les bandes annonces, les environnements souvent ternes et la réutilisation massive d'éléments du décor ne font pas forcément honneur au moteur, pas plus que les colonnes de brouillard qui séparent les zones sans oxygène du reste du terrain de jeu, ou encore le clignotement et la pixellisation de certaines ombres, hérités de
TPP.
Encore une fois,
Survive semble plus gêné qu'autre chose par son monde ouvert, ce qui induit des changements de priorités. Par exemple, puisque le jeu incite le joueur à prendre de la hauteur, il semble avoir nécessité une correction (réussie) des difficultés bien connues de
TPP à gérer l'escalade des pentes et rochers. C'est un vrai soulagement. De nouvelles animations sont aussi apparues, motivées par la jauge d'endurance (course essoufflée…) ou l'ajout d'armes (l'arc et le corps-à-corps).
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La réutilisation d'assets dans toute sa splendeur.
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À noter, puisqu'on parle des différences avec
TPP, que les commandes par défaut ont connu des changements : pour se jeter à terre, il faut désormais appuyer deux fois sur X. Problème, les actions contextuelles s'effectuent avec le même bouton… On comprend mieux pourquoi Kojima Productions avait dédié un bouton entier à ce saut d'esquive, qui devient encore plus important dans
Survive en raison des combats rapprochés.
Étonnamment, la vue FPS a disparu, en tout cas sur les armes disponibles durant ces premières heures, de même que les jumelles (dont on aimerait parfois disposer). Les boutons L1 et R1 sont désormais dédiés à l'utilisation d'objets secondaires. Les combinaisons de plusieurs touches sont légion, et il faudra un petit temps d'adaptation pour maîtriser absolument toutes les actions.
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Derrière ce mur de poussière, le royaume des Cendres.
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La bouffée d'air frais du co-op
Comme dans
TPP, il est obligatoire de terminer une première étape de l'aventure, seul, avant de pouvoir entamer le multi. La plupart des joueurs préfèreront sûrement mener des opérations en co-op dès qu'ils en auront l'opportunité, et ils ont bien raison : dans notre cas, une seule partie à deux a octroyé davantage de récompenses que plusieurs heures de jeu en solo !
Survive est clairement fait pour être apprécié entre amis, avec un lobby de co-op limpide et bien conçu, qui ne nécessite jamais de retourner à la base puisque tous les menus y sont directement accessibles, dans une sorte d'espace de réalité virtuelle qui comprend même un terrain d'entraînement au tir. Tout est fait pour privilégier l'expérience multi, qui reste cependant imbriquée dans le solo et limitée à des missions bien précises : n'espérez pas demander de l'aide à vos camarades pour réussir tel ou tel passage de l'aventure.
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Le lobby du mode co-op inclut un mode entraînement similaire à celui de MGS4. De quoi patienter en attendant que les autres joueurs soient prêts.
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Le mode solo de
Survive a donc beaucoup plus de poids que prévu : par bien des aspects, c'est lui, le socle du multi, et non l'inverse. Son challenge relevé le réserve aux initiés, ou tout du moins aux plus patients, car il nécessite tout de même quelques heures de prise en main et punit les échecs dans des proportions auxquelles
MGSV ne nous avait pas habitués. Mais ceux qui prendront goût à ce genre nouveau pour la série en auront vraisemblablement pour plusieurs dizaines d'heures de jeu. On devine que le potentiel du jeu se mesurera sur le long terme et la progression de longue haleine : le tout est de savoir si vous souhaitez vous lancer dans une telle entreprise. De l'eau a coulé sous les ponts et le mètre-étalon du TPS de 2015 n'est pas celui de 2018. La version beta, disponible entre le 18 et le 21 janvier, devrait vous aider à prendre une décision avant le jour-J, fixé au 22 février.
Sachez enfin que si le défi vous plaît, mais que vous n'êtes pas contre un petit coup de pouce de temps à autre, un menu d'achat de "jetons de survie" a été aperçu. Nul doute que ceux-ci, à l'image des pièces Mother Base, apporteront des avantages en cours de partie. De nos jours, que serait un Metal Gear sans sa petite économie de guerre ?
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L'IA des ennemis est très rudimentaire et facilement exploitable. En règle générale, vous avez à coup sûr l'avantage si vous êtes en hauteur.
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Dans cette version d'essai, les aperçus d'armes et d'objets dans l'inventaire étaient particulièrement disgracieux et pixellisés. A corriger d'urgence.
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Les ennemis ne comptent heureusement pas sur leur IA, mais sur leur nombre. Ici, un tout petit groupe, en comparaison à ce qui vous attend plus tard.
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Trop d'effets tuent l'effet. Dans un premier temps, habituez-vous à ce que votre estomac soit vide et votre écran, flou.
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Le secret de la furtivité : grimper en hauteur. En cas de pépin, vous serez couvert.
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S'il vous prend l'envie de boire de l'eau croupie ou manger de la viande crue, vous pourriez être pris de vomissements répétés qui immobilisent totalement le personnage. Il est possible de se soigner, mais les médicaments sont rares.
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Durant les premières heures de jeu, la récolte d'énergie des errants est très laborieuse. Votre bouton carré n'est pas prêt de s'en remettre.
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Le précieux contenu de ce coffre ne s'obtient qu'à l'issue d'un mini-jeu de dextérité, plutôt sympa et bien pensé. En cas d'échec, le grincement de la poignée attire une meute d'ennemis.
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Je crois que je suis paré.
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Une situation un peu compliquée à expliquer.
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Mon estomac est toujours vide, mais au moins, j'ai un nouveau bonnet.
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