A HIDEO KOJIMA GAME ANALYSIS |
Note : Cette analyse contient de nombreux spoilers et des révélations importantes. Nous vous conseillons vivement de terminer le jeu avant la lecture de cet article.
Piqure de rappel avec le pitch du jeu
9 ans après les évènements survenus dans
Ground Zeroes (prélude à ce
Phantom Pain), Snake sort du coma et reprend du service dans sa lutte contre Zero ou plutôt Cipher. A l'aide de Kazuhira Miller et de Revolver Ocelot, Venom Snake prends la tête des Diamond Dogs et se lance dans plusieurs opérations de mercenariat en Afghanistan. Son point de chute : une plateforme militaire située aux Seychelles...
Prologue
Après ce pitch laconique et candide voir presque digne d'un résumé de film façon
Télé 7 Jours mais préservant l’innocence du joueur non averti, j'aime autant prévenir les fous qui se risqueraient à lire ces "quelques" lignes que je vais spoiler à tort et à travers pour parler de ce jeu, ou plutôt de son traitement scénaristique, évoquer ces faiblesses mais surtout mettre en avant son audace et ses qualités. Pourquoi une telle démarche ? C’est simple, si la saga
Metal Gear Solid ne fait pas l’unanimité auprès des joueurs, il est plus rare qu’un opus de cette série divise autant les fans de l’œuvre de
Hideo Kojima. La dernière fois qu’un tel chaos et une telle vindicte avaient éclaté, c’était en 2002 peu de temps après la sortie de l’excellent
MGS2 : Sons of Liberty.
Aujourd’hui, en 2015 donc,
MGSV : The Phantom Pain subit nombre d’attaques acerbes de la part de certains fans de la franchise prisonnière des griffes de Konami. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de « forcer la main » des joueurs déçus par cet épisode : on peut ne pas aimer un parti pris, un arc scénaristique tout en
comprenant sa démarche. On peut même mettre en évidence les scories de tel ou tel épisode de la saga (et il y en a dans ce
MGSV comme dans tous les autres opus) mais il est important de se souvenir qu'une œuvre, si elle s'inscrit dans une saga, doit aussi avoir une identité propre en adéquation avec
un propos, de même qu'un scénario ne doit pas être réduit à une "histoire", c'est plus que ça. J'ai pu lire tellement de discours réducteurs sur le jeu qu'il est important de replacer certains éléments dans leur contexte et de rappeler pourquoi ce dernier opus de la saga
MGS est loin d'être un "navet" (comme le clament certains).
Il faut bien comprendre qu’une œuvre ne peut pas (
et ne doit pas) reposer uniquement sur les attentes personnelles de chacun et sur la vision « biaisée » qu’ont certains fans de ce que doit être tel ou tel opus de la saga. Car ce genre d’exigence est un véritable danger pour le processus créatif et si le jeu aborde le thème du parasitisme, force est de reconnaître que les fans sont eux-même de féroces parasites (souvent inconsciemment) qui tendent à se nourrir d'une série (peu importe le média) et par extension d'un auteur jusqu'à exiger, parfois sans s’en rendre compte, que ce dernier se plie à leurs désirs jusqu'à "désapproprier" ce même auteur de sa création (le désir l'emportant souvent sur la raison) en révisant l’œuvre originale, en rejetant toute nouvelle expérimentation ou pire en statuant que l'auteur ne fait pas ce qui doit être fait. Je lisais encore il y a quelques temps ceci :
« j'attendais autre chose de ce MGS. Un MGS4 bis? Certainement. » ou encore
« Où sont Gray Fox et Sniper Wolf? Ce n'est pas le jeu que je voulais ! » Le serpent se mord la queue (preuve que Snake n'a aucune leçon à recevoir en matière d'onanisme)... Et je souligne que malgré l’impression d’amertume qui pourrait ressortir de ces quelques lignes, nous formons une formidable communauté et nombre de fans échangent des propos fort enrichissants sur les différents sites et forums. Voila pourquoi je vais me livrer ici, à mon tour, à une analyse herméneutique de ce
MGS, en espérant vous divertir ou vous faire réagir, tout en mettant en avant la richesse de cet opus en le replaçant dans son contexte socioculturel.
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MGS 2 et MGS V ont tous deux attisé la colère des "fans".
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Rafraichissons d'abords les esprits engourdis par le froid automnal avec quelques faits. Si on entend parler du projet
MGSV depuis quelques années déjà, les joueurs ne sont pas sans savoir que tout ne va pas bien entre
Konami (l'éditeur) et
Kojima (le game designer). Cela se traduit par
une première amputation :
MGSV : Ground Zeroes. En 2013, la presse spécialisée révèle que
MGSV sera scindé en 2 parties et c'est en 2014 que sort
Ground Zeroes qui apparait comme étant le prologue de
TPP (un peu comme le tanker de
MGS2 ou la "Virtuous Mission" de
MGS3). Sur le papier,
Konami prétend faire patienter les joueurs, dans les faits il s'agit d'avoir une rentrée d'argent "intermédiaire" pour amoindrir le coût gargantuesque de
MGSV. Pour
Kojima, il s'agit de placer un "épisode pilote" ou un épisode "test" avant la sortie de la saison complète de
TPP, pardon du jeu complet.
La manœuvre divise mais
Kojima glisse quelques "cadeaux" qui récompenseront les joueurs qui migreront sur
TPP... Mais à l'échelle d'une œuvre (car n'en déplaise à certains on peut considérer le jeu vidéo comme un "produit artistique") qui tient le discours de
TPP, c'est un "sacrilège" qui brise certaines implications du récit (
Ground Zeroes aurait fait une introduction « onirique » parfaite avant le réveil de Venom Snake). Tout va de mal en pis et le divorce
Konami /
Kojima est annoncé. Cependant les fans sont "rassurés", MGS V sortira début septembre 2015 après des années de trailers et de manipulations de
Kojima dont celle qui restera peut-être le plus dans les esprits est le "studio Moby Dick" porté par un certain
Joakim Mogren (en réalité
Kojima sous un habile déguisement que l'on retrouvera dans
TPP).
Arrive septembre 2015 et du côté de la presse vidéo ludique le jeu remporte un certains succès et atteint la barre des 94-96/100 sur
Metacritic (pour ce que ça vaut, hein). Les joueurs commencent à s’approprier le jeu et l'extase est totale, jamais un
MGS n'avait offert un gameplay aussi exemplaire et un moteur graphique aussi efficace. Mais au fil des jours, une frange (de plus en plus importante) de joueurs commence à montrer leur mécontentement à propos d’un scénario qui ne leur convient pas ou qu’ils trouvent trop léger, parlent d’un jeu « incomplet » ou même « mensonger » pour certains. La guerre civile éclate. Les uns dénigrant les autres, le travail de
Kojima est traîné dans la boue par quelques uns et seuls quelques égarés s'interrogent sur le sens de ce dernier
Metal Gear estampillé
A Hideo Kojima Game (ou même dernier tout court, c'est beau de rêver)... Pour jouer avec cette saga vidéo-ludique je reprendrais l'un des cartons d'introduction de
MGS3, une citation de Naked Snake (futur Big Boss), en le parodiant avec la situation actuelle :
"After the end of MGS V : The Phantom Pain, the fanbase was split into two - Lovers and Haters. This marked the beginning of the era called the Kojima War." Il est donc temps de jeter un œil à ce que vaut vraiment ce
The Phantom Pain. Ici pas d'interprétations fumeuses, juste de l'analyse (ma formation en analyse filmique oblige) adaptée aux codes du genre. Les rares fois où je pourrais extrapoler, cela sera sur des faits quasi avérés mais, quoiqu'il en soit, jamais infirmés dans mes 2 runs et mes 250 heures de jeu...
Retour sur
The Man who sold the World.
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Quoi, j'ai un truc sur le visage ?
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Chapitre 1 : The Phantom Pain
Il est temps d'aborder (enfin !) la trame narrative du jeu et les thèmes abordés (et forcément les choses qui fâchent). On retrouve dans ce jeu toute les obsessions de
Kojima : la mémétique, l'écriture de l'Histoire, les menaces « invisibles » (le nucléaire, certes mais pas seulement, on pense aux épurations ethniques, à la disparition des cultures), la désacralisation des icônes et même les rapports œdipiens, tout ça saupoudré de références littéraires et cinématographiques bienvenues pour la plupart (
1984,
Moby Dick,
Kagemusha,
Sa Majesté des mouches,
Pontypool,
Terminator...). On ne pourra pas dire de ce jeu que ce n'est pas un
MGS (et oui je sais que vous le dîtes vous là-bas) tant il aborde des idées déjà évoquées par le passé dans d’autres opus. Vous entrez à présent dans la spoiler zone comme jamais auparavant...
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« Infinite amo! »
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Déjà, balançons le twist final avant de bien mettre en avant que derrière le scénario simple (pas simpliste) de ce
TPP, de nombreux thèmes propres à toutes la saga sont mis en place bouclant ainsi bel et bien la boucle, non pas forcément par des « faits », mais bel et bien sur le plan de l'idéologie. Le twist donc... A l'instar d'un
MGS : Peace Walker (considéré comme le 5 à l'époque, de l'aveu de
Kojima),
TPP nous propose d'incarner « Big Boss » dont le nom de code est à présent "Venom Snake" (vous pouvez même rajouter « Punished » avant si vous aimez jouer cartes sur table) aux prises avec une histoire plus simple (plus digeste diront certains) que
MGS 1,
2 ou
4. Cela fonctionnait déjà à merveille avec
Peace Walker où l'intrigue se recentrait sur l'élément humain (ah la "trahison", les désillusions et l'abandon du bandana de The Boss...) tout en innovant sur le gameplay, « la touche Big Boss » en somme.
Rebelote donc pour ce
MGSV (prononcez
MGS Vi pour montrer que vous avez tout compris au jeu avant même de lire cet article) avec une bonne vieille croisade vengeresse loin des complots et des twists à répétition de la saga. Quoique... Le joueur à l'écoute du jeu découvrira assez vite, du moins s'il ne croit plus au Père Noël, que quelque chose cloche avec « son » Snake (ce n'est pas sale, à priori). Bien sûr il y a la chanson «
The Man who sold the world » de
David Bowie ou plutôt la reprise de
Midge Ure, il y a tout ces personnages qui ne semblent pas vraiment reconnaitre Big Boss ou encore des élément de game design qui poussent le joueur à s'interroger sur l'identité de ce Snake mais surtout il y a le traitement du personnage,
TOUT SIMPLEMENT. « Big Boss » est quasiment désincarné dans ce jeu et je trouve aberrant que certaines personnes imputent la responsabilité à l'acting de
Sutherland. Oui,
Sutherland est peu loquace, monolithique (et encore) et usé car c'est ce qu'est le personnage de Venom Snake. Une coquille pour la légende : ce n'est pas Big Boss que l'on joue mais un anonyme (ou presque puisque Venom c'est vous, oui vous et vous aussi, sympa le
Kojima ! Pas forcément au début de l’intrigue, on reparlera plus tard d'évolution, d'envol, mais j’y reviendrai), un homme de confiance qui sert la légende mais surtout un homme de l'ombre sacrifié sur l'autel de l'Histoire. En effet, ce brave « medic » qui semblait déjà apparaître dans
Peace Walker (ce premier soldat adepte du CQC qui appelait Snake "Vic Boss") va subir un reconditionnement total à base d'hypnose durant son coma pour profiter de l'expérience et des souvenirs de Big Boss puis profiter de quelques opérations de chirurgie pour devenir le portrait presque craché du soldat légendaire (oui, pour ma part il y a des différences physiques entre les deux visages). Mais tout cela suffit-il à faire du medic / joueur, un leader aguerri ? Souvenez vous l'une des premières phrase de Venom à Kaz :
« Kaz, tell me what to do. Tell me like you used to! » On se retrouve donc avec une créature sans repères, presque un
homoncule quand on y pense (gueule couturée, bras bionique, corps à fonction de réceptacle), livrée aux mains de ceux qui écrivent l'Histoire : Big Boss qui reste loin et le joueur qui est sur le terrain.
D'ailleurs, quand on y pense, Big Boss dans sa vision libertaire de l'existence (faussée certes par son rapport à The Boss et à Zero) ne sera jamais contrôlé par le joueur. Dans
MGS3, il s'agit de Naked Snake, dans
Peace Walker, il s'agit de Snake tout court jusqu'au propos final « From now on Call me Big Boss! » référence direct à Snake Plissken, le héros « nihiliste » de
Escape from New York (et jugé dangereux par son propre créateur, ici
Carpenter)... Revenons à nos moutons (et dieu sait qu'il y en a dans ce jeu). Venom sort d'un long coma de 9 ans. Il n'en sort pas vraiment de son plein grès, mais est réveillé par Ocelot et Big Boss qui maintenaient Venom dans un coma artificiel (oui il faut écouter les 152 cassettes audio qui servent à comprendre le scenario. Ces cassettes ont un plus par rapport aux codecs : on peut les
réécouter, alors n’hésitez pas à faire comme
Travolta dans
Blow Out, il n'y a que 6H de bandes) pour mener à bien un projet initié par Zero avant que celui-ci deviennent un légume, dernier acte d'amitié sincère pour Big Boss (ce qui permet au joueur de comprendre qu'au final
Zero n'est pas le pire des salauds). Venom n'en sort pas vraiment en grande forme de ce coma vu qu'il a "pris cher" lors de l'explosion de l’hélicoptère Morpho (souvenez vous, Paz,
Ground Zeroes, tout ça, tout ça...).
Bien sûr, il y a le bras manquant, le gauche en l'occurrence, mais loin de s'improviser
David Chiang dans
La Rage du Tigre, Venom troque son handicap contre une prothèse cybernétique Hi-Tech offrant tout un champ de possibilités de gameplay bienvenues mais très loin de proposer une vision idéalisée du transhumanisme, loin de là. Il est amusant de noter que les couleurs de ce bras bionique renvoi plus au schéma de couleur du serpent corail qu'à celui du bras de Zadornov dans
Peace Walker (à moins qu'il ne s'agisse du schéma du "faux serpent corail", un serpent qui se fait passer pour un autre...). Il y a aussi cet éclat de shrapnel logé dans le lobe frontal du simili soldat légendaire. Indélogeable, ce corps étranger entraine une dégénérescence des capacités de Venom ainsi que l'éventualité d'être victime d’hallucinations de toutes sortes. Enfin, le corps de notre héros est parasité par de nombreux éclats d'os et autres fragments de dents, 108 en l'occurrence, un chiffre cher à nos amis Orientaux symbolisant à la fois les notions de néant, d'individualité et de totalité et qu'on retrouve dans un nombre d’œuvres incroyable (le premier auquel je pense est le monument qu'est
Au bord de l'eau mais on pourrait citer
Hokuto no Ken et même
Suikoden, prestigieuse licence de
Konami justement). Ce chiffre 108 n'est donc pas anodin, il symbolise le « refus » de soi, la négation de l'ego pour arriver à une forme d'élévation extatique et c'est peut-être ça qui fait que Venom est un homme « meilleur » que Big Boss (il n'utilise pas les enfants pour faire la guerre, il n’exécute pas les traitres...). Ce 108, c'est nous les joueurs dans notre globalité qui nous incarnons tous ici dans un seul corps, celui de Big Boss en négation de celui de Venom et c'est « Nous » qui le rendons meilleur (la fin secrète sur le nucléaire en témoigne mais on verra ça après) : 1+0+8 (8 en tant que symbole de l’infini). Venom est donc un être diminué
et composite sur lequel se calque une projection de Big Boss. Officiellement, par le biais de l'hypnose, officieusement par le biais de la vision des joueurs qui semblent ne pas comprendre, dans un premier temps, que leurs visions et attentes du personnage (de Big Boss) n'apparaissent pas chez ce Venom...
Les fans de la saga voulaient voir Big Boss devenir un démon, pourtant le jeu ne nous sert pas ce plat là, il n'y a pas de transition, de cheminement véritable, juste un fait : « Kaz, I'm
already a demon » dès la deuxième mission. Depuis
Peace Walker déjà, Big Boss est entré dans une démarche belliciste qui a atteint un point de non-retour. Dès lors que l'homme devient ressource quantifiable et « qualitatifiable », qu'une sélection « naturelle » s'instaure et que le joueur commence à abattre des soldats plutôt que de les extraire, il n'y a plus de question à se poser. Et je ne parle même pas de l'expérimentation propre aux joueurs et dont les soldats seront invariablement victimes (cela me fait penser que je n'ai pas encore testé le lance-flamme de mon D-Walker). D'ailleurs c'est à ça que sert l'élément de gameplay connu sous le nom de « points de démon » (oui on se casse le cul chez
Kojima Prod), ce compteur secret qui vous pénalise à chaque mauvaise action et dont l'impact visuel se traduit par une corne disgracieuse de plus en plus imposante (brisant encore une fois le rapport d'identification au vrai Big Boss et en cela c'est déjà ultra punitif) et avec un faciès couvert de sang ne partant plus au lavage, design qui renvoi plus à l'Oni Japonais (créature rouge et cornue très agressive) qu'au démon au sens occidental du terme, le Kanabo japonais, sorte de masse en métal, devenant le bras de Venom. Les Oni sont des créatures protectrices mais altérées par leur concomitance avec les ténèbres, ce qui les pousse vers la voie de la destruction (ça ne vous rappelle pas quelqu'un ?). Aussi c'est encore une fois toute l'évidence de la vie de mercenaire (et donc de « Oni ») qui se traduit par cette mécanique car plus vous jouerez, plus vous « sélectionnerez » qui doit vivre et mourir, plus vous « expérimenterez » sur des soldats mêmes pas réellement aux ordres de Skull Face (armée russe, milices sud-africaines) et plus vous perdrez de votre humanité (toute proportions gardées bien entendu). Le temps (de jeu) renverra alors aux 11 ans qui sépare ce
TPP de
Metal Gear 1 sorti sur
MSX. Vous l'aurez donc bel et bien votre créature déshumanisée par un conflit sans fin mais j'y reviendrais également.
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L'un des meilleurs salauds de la saga.
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Pour faire face à une telle créature « spectrale » ou « fantomatique » (car, je l'ai dit, désincarnée), il faut un antagoniste au niveau : Skull Face. Quand on traîne ses guêtres sur les forums, on a rapidement l'impression que c'est le « vilain » le plus mal aimé de tous les
MGS ou plutôt le plus sous exploité et pourtant... Rarement un méchant « One Shot » aura été aussi efficace. Attention je vous parle bien d'un véritable « Bad Guy » dont la fonction est d'exister dans un seul épisode (comme Volgin en son temps). Analysons déjà son design formidable issu de l'imagination tortueuse de
Shinkawa et
Kojima. Monstre sans visage et sans passé (on lui a pris les deux), Skull face vit dans l'ombre de Big Boss depuis bien longtemps. Lorsque l'unité FOX brillait sur le terrain, l'unité XOF se chargeait du nettoyage et du bon déroulement des opérations. Un travail ingrat qui laissera une rancœur tenace chez Skull Face envers Zero, celle d'un gosse déçu par son père, le même type de rancœur que nourrit Big Boss envers Zero/Cipher (et plus secrètement envers The Boss qui a "baissé les armes"). L'opération
Ground Zeroes est d'ailleurs autant un désir « enfantin » de plaire à la figure paternelle (« Faire mal à Big Boss pour plaire à mon père. ») que de la déstabiliser (« Tu l'aimes plus que moi alors je le tue ! »). C'est aussi une rancœur qui fait avancer les choses pour le meilleur et pour le pire et il est dommage que ce segment ne soit pas resté collé au reste du « corps ». Nombreux sont les gosses brisés qui jouent à faire la guerre dans la saga
Metal Gear (Big Boss, Skull Face, Eli/Liquid Snake, Solidus, Ocelot...). L'une des plus belles cutscenes du jeu y fait référence d'ailleurs. Ce moment improbable entre Quiet et Venom qui jouent tous les deux sous la pluie, à s'éclabousser, comme si le monde ne s'écroulait pas autour d'eux. On peut y voir de la romance mais pas seulement (la scène improbable d'anniversaire également même s'il s'agit plus d'un simple clin d’œil au joueur). D'ailleurs le plus grand crime de ce
MGS, c'est de ne pas pouvoir revoir ces cinématiques optionnelles (et pourtant indispensables) via un menu mais je m'égare.
Revenons à Skull Face qui pour témoigner de sa « non-existence » va jusqu'à cacher son identité derrière un masque comble de l'ironie vu qu'il n'a pas de visage ou démarche désespérée de s'inventer une identité, d'exister dans la saga (comprendre être reconnu) ? Et il y a bien sûr cette arme qui renvoi terriblement aux personnages de Venom ou de Kaz (et par extension à leur quête de vengeance). Une winchester à canon
scié et dont la crosse (
sciée également) est fait à partir d'un
os humain. Il crache littéralement ce « membre fantôme » à la gueule de ses adversaires qu'il a estropié, à qui il a arraché des membres. Et cette interprétation aux petits oignons de la part de
James Horan ! Skull Face, un homme dépossédé de sa langue natale et qui prévoit de créer une épuration linguistique (véritable force de frappe plus redoutable encore que le nucléaire, l'Histoire en témoigne), semble placer chaque mot avec le respect qui lui est du. Son débit presque aristocratique et grand guignolesque des phrases témoigne de son obsession (et lui vaut quelques moqueries bon-enfant sur le web). Mais franchement :
« Today is the day weapons learn to walk upright! », tout est dit. J'ai rarement vu un méchant aussi grandiloquent et juste à la fois. On dirait du
Ku Feng (inimitable acteur spécialisé dans les rôles de « bad guy » dans le cinéma de la
Shaw Brothers). Mais non, on lui reproche un faible temps à l'image, l'absence de boss fight et une mort anecdotique.
Pourtant tout fait tellement sens. Ce personnage appartient au « hors-cadre », Skull Face est passé à côté de sa vie durant toute sa foutue existence, il ira même jusqu'à disparaître des livres d'Histoire comme il l'évoque lui-même et tout comme Venom invariablement : Big Boss dira qu'il a été effacé 3 fois au total en faisant référence à
MG1,
MG2 et
MGS 4. Venom n'existera jamais et si Venom meurt, le joueur est gratifié d'un game over pas d'un Time Paradoxe, forcément la légende c'est Big Boss pas Venom. Et on pense alors au chef-d’œuvre de
Kurosawa qui a inspiré
Kojima :
Kagemusha. Le film suit le règne de la doublure du général
Takeda Shingen qui découvre peu à peu l’absurdité de ce rôle de doppleganger. Un conseiller fera remarquer à juste titre que
« L’ombre d’un homme ne peut exister par elle-même, encore moins s’élever. » Mais revenons à notre faucheuse incarnée, Skull Face dont le seul "fait d'arme" sera d'avoir rendu Zero débile et incapable de mener à bien son projet par lui-même. Il n'affrontera jamais Big Boss, ni même Venom. Sa mort (excessivement violente pour un
MGS) le morcellera littéralement comme pour le disperser aux quatre vents, pour le faire disparaître. Pire, il sera achevé par Huey (le "négationniste émotionnel" du jeu) qui détruit tout assouvissement vengeur possible avec les protagonistes et s'offre ainsi une vengeance aussi vide de sens (pour Huey) qu'anecdotique. Et cette fin ou plutôt
cette disparition ne clos rien, n'apporte aucun soulagement et un deuxième chapitre s'enclenche. Les personnages n'y gagnent rien, la douleur fantôme est toujours là, la vengeance est assouvie sans l'être.
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J'existe vous savez !
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Cette fin me fait penser à l'un des plus grands films de l'Histoire du Cinéma à savoir
Conan le Barbare de
John Milius (qui partage certains points communs avec MGS V du côté de chez Nietzsche mais pas aussi simple que le raccourci du mythe du "surhomme" dont on taxe le film). A la fin du film, Conan décapite Thulsa Doom face à ses fidèles après avoir écouter son monologue sur la quête de vengeance en tant que "paternité" du protagoniste. Pas de grande bataille, de combat contre quelques créatures contrefaites (dirait
Robert Howard). Sa vengeance accomplie, le cimmérien s'assoit sur les marches. Il n'y a plus de "moteur", juste un vide. C'est pareil dans
TPP, pas de grandiloquence, de cutscenes démonstratives et hollywoodiennes (Ocelot nous avait prévenu pourtant dans une séquence "optionnelle"), juste des personnages qui restent "pantois" face à des sentiments qui les dépassent au final. Et pour le joueur, une nouvelle frustration. Il ne gagne rien, je l’ai dis (même pas la possibilité de développer la superbe arme de cet adversaire). Il n'a pas vraiment affronté le "formidable salaud" (violeur, adepte du génocide et de l'expérimentation sur les enfants) qu'est Skull Face et qui ne suscitera peut-être jamais la sympathie malgré son traitement digne des meilleures tragédies grecques. Il est d'ailleurs l'antithèse du "gentil" Venom malgré leur quête de "vengeance" qu'ils partagent d'une certaine façon, mais il parviendra à semer quelques idées douteuses dans la tête du doppleganger de Big Boss (et 9 ans auparavant, c'est carrément un bout de métal qu'il avait « inséré » de façon brutale dans la tête de Venom).
Le joueur reste là, gros-jean comme devant, avec sa manette face au chapitre 2, il doit continuer à avancer mais est dépossédé de l'objet de sa quête.
Mais cette absence (celle de Skull Face) est obsédante. Les joueurs mécontents en sont les témoins formidables. Ils se plaignent de ne pas avoir assez vu Skull Face et se plaignent de sa mort mais au final son obsédé par lui et par sa disparition, tout comme il apparait à Venom sur le pont principal de la Mother Base après son décès. Mais le plus drôle, c'est que Skull Face, tout comme Venom, n'aura été qu'un outil sans visage (brulé pour l'un, refait pour l'autre) aux mains des « puissants » (Zero et Big Boss). Oh j'oubliais cette scène tant décriée du grand silence (salut
Corbucci) dans la Jeep où Venom et Skull Face se dévisagent sans mots dire sur fond de
Donna Burke. Elle a souvent été comparé à celle de l'échelle de
MGS3 avec comme propos acerbe qu'elle était ratée. Et pourtant. Dans
MGS3, Naked Snake est mu par sa volonté, il est déterminé : cette échelle c'est une ascension, presque un boss et le joueur accompagne Snake en le faisant avancer. Ici, Venom est victime de l'action et de sa condition : il subit et pour le joueur la temporalité est une « agression » (certains vaquent même à leurs tâches sur l'idroid). Venom ne sera jamais maître de son destin. Reste que pour être parfaite, le personnage de Venom aurait du rester plus immobile, les animations de « détente » du personnage ainsi que la possibilité d'utiliser l'idroid nuisent au propos à ce moment du jeu, un mauvais point pour une idée formidable.
Kojima aurait du être moins permissif sur ce coup (preuve que tout est loin d'être parfait dans ce
MGSV). Enfin, je l'ai dit précédemment, Venom / Skull Face : même combat du côté des personnages dépossédés à tel point qu'on ne sait plus si l'emblème d'Outer Heaven nait de Venom et sa corne ou de Skull Face et son visage de Faucheuse. Cette fois
Kojima ne fait jamais dans le démonstratif (cf
MGS3/
MGS 4) et c'est au joueur de se creuser la caboche pour tirer du sens et analyser les choix de narrations...
Oubliez ça :
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(I'm already a demon...)
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Et mangez ça :
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« From FOX two phantoms were born. »
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Passons plus rapidement sur les autres personnages du jeu qui apparaissent dans les quelques 4-5H de cinématiques présentes dans ce
TPP.
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« Une vraie bande crache-la-mort ! »
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Kazuhira Miller, ou Kaz pour les intimes, fait partie des têtes d'affiche. L'opération
Ground Zeroes a laissé d’indélébiles stigmates chez ce personnage. Bien sûr, cet entrepreneur de l'économie de guerre a perdu une jambe et un bras, s'improvisant véritable Long John Silver (ou capitaine Achab si ce nom n'était pas déjà emprunté par Venom), mais sa véritable « Phantom Pain » reste celle de la perte de ses hommes et de son idéal mercantile (qui l'avait déjà jeté dans les bras de Cipher dans
Peace Walker trahissant ainsi, une première fois, Big Boss). Attention on peut lire par endroit qu'il aurait perdu ses membres en Afghanistan lors de l'assaut des Skulls. C’est, je pense, une erreur pardonnable (pas de données précises) ou au mieux une extrapolation que je ne rejoins pas. J'ai eu beau refaire la mission « les membres fantômes » et écoutez les cassettes sur le sujet, rien ne dit que c'est en Afghanistan qu'il a perdu du poids. D'ailleurs ce n’est pas vraiment dans le genre des Russes d'y aller à « l'arrache » comme ça. La mort de Skull Face semble confirmer également que c'est bien dans l'explosion ou le crash de l'hélicoptère Morpho (dans
Ground Zeroes) qu'il a perdu ses membres puisque Kaz, fan de la loi du talion, les arrache littéralement au « malheureux » chef du XOF. Comment pouvait-il être sur le terrain alors ? Et bien, il était simplement chargé de former les moudjahidines pas de mener une guérilla (et puis ce bon Miller ne nous accompagne-t-il pas à OKB Zero dans le Peequod ?)...
Quoiqu'il en soit, c'est un personnage désabusé et rongé par la colère, colère dans laquelle il se conforte (pas de prothèse hi-tech) voir qu'il attise (élimination des alliés potentiels comme Quiet, paranoïa aigüe). Mais c'est aussi cette douleur fantôme qui le pousse à créer les Diamond Dogs et à relancer une nouvelle Mother Base près du continent Africain. Il représente ici la haine, la vengeance, la partie « démoniaque » de Venom (Kaz et Ocelot se partageant la morale de Venom - cf scène de la capture de Quiet par exemple avec une troisième inconnue qu'est le joueur) et se lance dans une croisade aveugle (haha) où son jugement est faussé par sa rancœur (oui comme certains joueurs). Kaz est persuadé tout du long de lutter contre Cipher, puis lorsqu'il comprend que la menace est plus complexe (Skull Face est la véritable cible se servant de quelques cellules de Cipher comme d'un outil), il ne comprend pas sa démarche. Ainsi il pense que Skull Face veut imposer la langue anglaise et détruire tous les autres idiomes, alors qu'il n'en est rien, la cible à abattre c'est justement l'anglais (le dialecte pas
Terrence Stamp)...
Son tempérament sanguin le pousse à se conforter une nouvelle fois dans une « phantom pain » lorsque le plan de Big Boss lui est révélé par Ocelot et c'est sûrement la chose la plus terrible pour le "mercenaire" qui avait de grands rêves dans le business de la guerre. On ne lui jettera pas la pierre, loin de là. Je reviens sur cette révélation d'ailleurs. Il est difficile de la placer avec exactitude dans la time line du jeu. Elle survient à la fin du jeu certes, mais pour ma part je pense qu'elle a lieu quelque part avant le réveil de Venom et la capture de Kaz par les Russes (ou, au pire, dès son retour sur la mother base). Kaz est mis en partie au courant par Zero du retour potentiel de Big Boss. Le patient Anglais (haha ! Bis repetita) indique d'ailleurs à Miller qu'un vieil ami de Big Boss, Ocelot, sera là pour l'aider à préparer sa nouvelle armée. Cela expliquerait deux choses dont une qui turlupine terriblement les joueurs. La première, la plus citée donc, concerne le manque de réactions de Kaz vis à vis de la corne de Venom. Bien que la cataracte de Miller soit bien avancée, plusieurs scènes laissent sous-entendre qu'il n'est pas aveugle or celui-ci sait parfaitement que c'est le medic qui a reçu un éclat dans le lobe frontal. C'est pour ça qu'il dévisage un moment Venom quand celui-ci le sauve, il comprend que le plan de Zero / Big Boss est en marche. Ce qui nous amène au deuxième point : l'excessive émotion de Miller face à Venom.
Ingame, plus les actions des joueurs sont efficaces plus Kaz va encenser Venom par des
« You're truly amazing Boss! » ou encore
« You're the one and only, Boss! » : il veut croire en la figure de Big Boss et son retour, souvenez vous sa requête lorsqu'on le délivre de sa cellule :
« Say the words! ». Si le joueur presse la touche d'action il lâchera un
« kept you waiting, huh! » célèbre phrase de
Ground Zeroes mais pourtant le jeu d'acteur n'est pas du tout le même à ce moment là et Kaz semble pourtant s'en satisfaire
« It's really you! ». Kaz accepte de suivre un leurre, un miroir aux alouettes. Mais a contrario les décisions pacifistes de Venom mettent Kaz hors-de-lui, celui-ci n'hésitant pas à bousculer celui qui croit être Big Boss et lui tient des propos moralisateurs (quand il n'ordonne pas à ses hommes de braquer l'hélicoptère où se trouve Venom et Quiet ou d’accueillir Venom et les enfants avec des hommes armés, ce que remarque Venom d’ailleurs). Kaz connait donc parfaitement la vérité (du moins selon moi) et sait qu'il a besoin de ce « double » pour assouvir sa première vengeance (celle contre Skull Face / Cipher) puis sa seconde (celle contre Big Boss) qui le poussera à revenir du côté des Patriots (en participant à la formation de Solid Snake). C'est le personnage le plus touché par la « Phantom Pain » (exception faîte du joueur) et qui sera détruit physiquement et mentalement jusqu’à trouver finalement la mort peu de temps avant
MGS1 des mains de son « rival » Revolver Ocelot, avec qui il doit « coexister » pour ce
TPP (ce sont ses propres mots).
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La gestuelle caractéristique d'Ocelot est bien présente.
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Ah justement Revolver Ocelot,
LE personnage de la saga... Lui qui prophétisait déjà les faits de ce
MGSV (en rapport avec ceux de
MGS2) :
« Given the right situation, the right story, anyone can be shaped into Snake. » Troy Baker donne une très bonne interprétation du personnage qui montre cette fois une facette plus « naturelle » du personnage (il ne joue pas double-jeu, consciemment du moins, et participe au développement de la nouvelle "armée" de Snake). Le comédien parvient à jongler avec le côté paisible du personnage dans cet épisode et la théâtralité que l'on retrouvait chez ces précédents doubleurs (
Zimmerman en tête). Cependant sa présence laisse les joueurs dubitatifs, il semble être « en vacance » cracheront les plus mesquins. Ils font bien sûr référence à son côté plus posé, Ocelot est en effet la conscience pragmatique de ce Venom en construction. Il incite le joueur à faire les "bons" choix et veille ainsi à
l'accomplissement de la volonté de Big Boss tout en se réservant quelques vices du côté de la torture (la seringue dans la jambe de Huey). Mais son flegme, son apathie diront les mauvaises langues, se justifie de par le fait que, s'il n'a rien perdu dans l'opération
Ground Zeroes, sa douleur fantôme est bien plus complexe. Ocelot est un personnage sans réel passé, tout lui a été pris très jeune par les Patriotes (qui l'ont enlevé et formé pour devenir l'espion ultime) jusqu'à la vie de sa propre mère, The Boss, des mains de Big Boss, le soldat qu'il admire par dessus tout. Son existence sera toujours faite de faux semblants sans lesquels il n'a de raison d'exister.
Les premières cassettes attestent d'ailleurs de ce fait lorsqu'elles évoquent le surnom « Shalashaska » qui est en réalité l'image ou encore l'idée que se font les soviétiques de ce personnage et de sa réputation (les surnoms sont très importants dans cet opus). Sa vengeance est
sourde,
muette, donc bien plus
dangereuse et viscérale que celle des autres personnages. Comble de l'ironie il fait partie (avec Big Boss) de ceux ayant participé à la création de Cipher. Son existence même est sa « phantom pain » et sa vengeance tout aussi autodestructrice que celle de Miller (si ce n'est qu'elle sert une cause « plus juste ») lui fera perdre plus que la vie (son identité certes mais aussi sa famille de substitution à savoir Big Boss, Liquid et même Venom). Dans ce
MGSV, il apparait donc plus sombre (pas au sens « ténébreux » mais au sens « accablé ») et plus humain que par le passé (scène de DD, scène du couteau dans le corps de Venom, entraînement des troupes et citations de Big Boss), ce qui ne plaira pas à tout le monde... Et pourtant, c'est bel et bien un processus
d'effacement qui s'opère (d'où cette impression de « banalité » en comparaison de ses fresques des épisodes précédents), l'effacement d'Adam ou Adamska au profit de Revolver Ocelot, au profit d'une cause plus grande, au profit de la réussite de Solid Snake dans
MGS4. Dans cette optique les scènes de complicité entre lui et l'image de Big Boss (voir Big Boss lui même via les cassettes et la très sympathique remarque sur « les Français ») sont à chérir autant que les photos de Paz glanées sur les âmes en peine de la Mother Base et qui errent à présent sur le champ de bataille à la recherche de quelque chose qui leur fait défaut.
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Quiet, toujours dans l'ombre de Venom.
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Et Quiet dans tout ça ? Seul Buddy à jouir d'une importance certaine dans la trame narrative alors que le personnage a subi les foudres des uns et des autres en raison de son caractère très sexualisé (« objetisé » diront certains). Si on ne peut nier qu'elle participe à chatouiller la libido des joueurs (les Japonais étant moins « prudes » que les occidentaux pour ce qui concerne les choses de l'amour), on ne peut résumer Quiet à cet état car c'est elle qui va véhiculer le message de
Kojima sur la « Phantom Pain » de la façon la plus violente. Plus que le côté scabreux du personnage, c'est son animalité qui m'a frappé, son rapport bestial à la séduction (via les postures ultra-provocantes qui sont un appel à la copulation - essayez de regarder sa poitrine dans l'hélicoptère pendant 10 secondes et vous verrez) qui témoignent ici de la perte d'humanité de Quiet qui est un véritable « nid » de parasites (les scènes de tremblement glauques en rapport aux gouttes d'eau sont assez « weird » dans leur genre). Revenons à la douleur fantôme, Quiet apparaît comme un véritable outil de valeur pour Skull Face (assassin de confiance, bombe à retardement via les parasites) comme pour le joueur (le Buddy le plus efficace), elle est une arme silencieuse, elle est « Quiet, the abscence of words », elle se définit par ce qu'elle n'a pas comme tous les autres personnages sont définis par leur douleur fantôme. Son destin tragique s'illustre par sa relative perte d'humanité (parasites, mutisme) et la dualité des sentiments qui la consument (amour/vengeance). Lorsqu'elle parvient à briser les chaînes qui l’aliènent, elle est vouée à disparaître, elle n'a plus sa place au sein de ce groupe de traumatisés en perdition et là c'est le drame pour le joueur.
Soyons plus clairs. Pour sauver Venom, ironiquement mordu par un serpent dissimulé par un autre (un cobra qui plus est), Quiet va prendre la parole en anglais, par Amour (qui prime donc sur la Vengeance), déclenchant ainsi les parasites des cordes vocales dormant dans sa gorge la transformant en menace pour le monde. Une seule solution pour elle, l'exil et une mort certaine. Son sacrifice se dote d'une notion « héroïque » du fait qu'elle meurt consciemment pour une cause et qu'elle transcende son désir de vengeance tout comme la bienaimée formatrice de Naked Snake et ce n'est pas pour rien que Quiet est liée elle aussi à l'emblème du papillon comme Paz et The Boss dans
Peace Walker, une notion qui échappera toujours à Big Boss ou même à son double (ils ne parviennent ni l’un ni l’autre à s’en saisir). Le joueur verse sa petite larme comme il l'a versé auparavant dans
MGS3 sur la mort de The Boss.
MAIS là où la « disparition » de Quiet est bien plus douloureuse c'est qu'elle prive le joueur d'un élément de gameplay. Si c'était survenu dans un MGS classique, le joueur aurait fait son deuil et terminé le jeu en enchaînant les couloirs et les cinématiques mais dans un jeu à monde ouvert comme
TPP qui ne dispose que
d'un seul emplacement de sauvegarde et qui permet d'être appréhendé encore et encore (via les missions principales ou secondaires) l'amputation est douloureuse, terriblement. Certains trouvent cela scandaleux et espèrent un retour ou un remplacement (quelques uns réclament même Sniper Wolf alors qu'elle n’a que 4 ans en 1984...) et c'est pour ça que ce choix de game design est audacieux et fait probablement partie des tabous qu'évoquait
Kojima quand ils disaient qu'ils pourraient lui coûter sa place (pas de bol, il l'a perdu pour autre chose) dans l'industrie moderne du jeu vidéo. C'est la raison qui m'a poussé à faire un deuxième run (et effacer ma première sauvegarde) car il existe un moyen de la garder un temps indéfini à ses côtés mais là ou
Kojima est d'une perversion totale, c'est que vous n'atteindrez jamais les 100% de complétion en la gardant avec vous (pour l'anecdote, je l'ai à nouveau laissé partir car j'avais l'impression de ne pas « vivre » l'expérience comme elle le devait). Et pour bien faire ressentir cette douleur fantôme, cette amputation de gameplay, Quiet laissera au joueur une cassette audio de son fameux (et magnifique) « Quiet's Theme », seul moyen d'obtenir cette chanson ingame, que le joueur un peu fleur-bleue pourra écouter en boucle en abattant froidement quelques communistes en Afghanistan (pour ma part, je l’ai mise en fond sonore du Pequod ainsi chaque fois que je vais sur le champ de bataille, je pense à elle. Oui, j’entretiens ma douleur fantôme...).
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Code Talker entre science et mysticisme.
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Les autres personnages bénéficient tous d'un traitement tout aussi efficace mais plus en retrait (l'homme en feu et ses chimères, Eli et sa généalogie maudite qui incarne la guerre et le conflit perpétuel et qui se borne à faire valoir une identité via son surnom de « White Mamba », Huey et son Metal Gear "inutile" et son bonheur fantasmé) mais je pense que vous avez saisi l'idée que la douleur fantôme est omniprésente chez les personnages... Et il y a bien sûr Code Talker tout droit sorti de
Little Big Man. Ce Navajo jouit d'un traitement plus original que le traditionnel rôle de « vieux sage » que l'on donne aux Amérindiens (même si son matraquage sur les
« vocal cord parasites » ou autre
« Wolbachia » et
« The Diné » est insupportable si on enchaîne les cassettes). Scientifique adepte de la parasitologie et des hamburgers, ce vieil homme est pris en otage par Skull Face et craint de voir son peuple disparaître (phénomène pourtant irrévocable que le personnage évoque de lui-même, merci la « civilisation », il refuse d'ailleurs son nom « civilisé », Georges, pour conserver le surnom Code Talker)...
Tous ces personnages sont pris dans le « Jigoku-Tabi » de Venom (à moins que cela ne soit celui de Big Boss), son véritable « voyage vers l'enfer » pour nos amis nippons (notion féodale qui implique d'entraîner ses proches dans une mission périlleuse voir suicidaire) qui fait plus écho dès lors aux interventions de
Kojima qu'à sa communication volontairement ambigüe à base de trailers... Mais il est plus que temps d'en venir à Big Boss, le vrai je veux dire.
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We're Big Boss.
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Chapitre 2 : V has come to
Le moins que l’on puisse dire c’est que la démarche de Big Boss, initiée par Zero, ne laisse personne indifférent. Et si des épisodes comme
MGS3 (la « défection » de The Boss) et
MGS4 (le « jeu » de Liquid Ocelot) nous ont appris qu’il fallait savoir prendre une certaines distance avec les informations, les digérer et les replacer dans le contexte très riche et non-manichéen de la saga, certains joueurs se sentent floués pour ne pas dire carrément blessés. S’ensuit alors une réaction quasi épidermique de la part de certains fans qui prennent alors en grippe Naked Snake avec une véhémence qui n’a d’égal que leur passion pour la saga. Alors oui le plan de Big Boss de sacrifier son meilleur homme (et probablement ami) peut paraître plein de couardise dans un premier temps, mais John, à ce moment là du récit, a vécu un véritable trauma avec la perte de ces hommes des Militaires Sans Frontières dans
Ground Zeroes (souvenez vous le hurlement de colère et la frénésie de carnage stoppée par la maigre contenance de son chargeur). La notion de syndrome post-traumatique, ou TSPT, est d’ailleurs très présente dans
MGSV (GZ + TPP) avec par exemple Chico et sa fiche jack qu’il insert dans sa poitrine comme pour retrouver le son de son âme, les hallucinations de Venom ou encore les anciens membres de la mother base qui errent sur le champ de bataille.
Big Boss décide donc de passer au cran au dessus de la stratégie, de tirer les ficelles dans l'ombre et de se doter, pour une période indéterminée, d'un « Kagemusha », un double, qui sera son « image » auprès des hommes sur le terrain et auprès des politiques du monde entier, lui permettant de construire Outer Heaven, sa véritable nation-soldat au dessus des gouvernements corrompus du monde entier. C'est une manœuvre classique de L'Histoire (Japonaise bien sûr mais surtout universelle) dont la « perversion » (plus que l'ingéniosité) est très bien évoquée dans le film de
Kurosawa : la psyché de la doublure s'efface et cette dernière devient une créature qui existe uniquement par le biais de la projection de l'identité d'un autre sur soi. Cette technique à un prix et bien sûr la médaille a le revers que l'on sait : Solid Snake, sous l'égide des Patriots, renversera Venom Snake qui était chargé de diriger Outer Heaven. Est-ce que Big Boss sacrifie ses hommes ? Non, du moins pas plus que les MSF. S'il avait été à la place de Venom, ceux-ci l'auraient suivi tout autant. Est-ce qu'il est indifférent à leur sort ? Absolument pas. Rejouez la scène de mise à mort de Skull Face sans tirer de votre plein grès et avec votre avatar créé pour l'occasion. Lorsque Kaz « force » Venom à tirer, cette action fait apparaitre, ou plutôt convoque, non plus l'image de Venom Snake / du joueur mais bel et bien celle de Big Boss (le vrai) comme il apparait dans
Ground Zeroes.
C'est par ce biais de la mise en scène que
Kojima prouve que Big Boss cherche toujours la vengeance et porte en lui la souffrance de la perte de ses hommes. A contrario si le joueur tire, il convoquera l'image de Venom comme il apparait dans l'hôpital chypriote. D'ailleurs tout le personnel de cet hôpital, des hommes fidèles à Zero (cf Cassettes) sont eux aussi « sacrifiés » pour une cause « noble », c'est
moche mais mourir pour son seigneur est une
tare très (trop) japonaise. La guerre c'est dégueulasse, c'est inique et c'est comme ça que
Kojima la représente. D'ailleurs il n'hésite pas à banaliser l'horreur de la guerre plutôt que d’assommer le joueur avec une morale évidente, c'est pour cela que la présence des enfants soldats et des charniers en Afrique peut sembler anecdotique pour certains alors que l'horreur des conflits est « anecdotique » et fait partie du paysage dans ce jeu. Alors oui, Naked Snake n'est plus l'homme de terrain qu'on connaissait, oui il embrasse son statut de « leader militaire » (qui bien souvent est un fardeau comme en témoigne la mission 43 de
TPP), oui il entre dans les pantoufles de Zero mais il suffit de revoir la fin de
MGS4 pour voir que Big Boss n'est pas « la lopette » que certains voient à la fin du jeu et évoque lui-même ses erreurs (je ne dis pas qu'il n'a pas filé un mauvais coton, hein, mais
MGS est tout sauf manichéen). Encore une fois, deux citations du film
Kagemusha font écho à
TPP, la première est la vindicte du double (disons Venom), à la base un voleur, à l’égard de son modèle :
« Je n’ai dérobé que quelques pièces. Je suis un simple voleur. Mais vous, vous avez tué de nombreuses personnes et volé leurs terres. Qui est le pire criminel, vous ou moi ? ». Cette citation renvoi bien sûr à la réaction indignée (et naturelle dans un premier temps) des joueurs. Vient ensuite la réplique de
Shingen Takeda, celui qui sera doublé (disons Big Boss) et qui « justifie » sa démarche dans ce monde en conflit perpétuel qu’est le Japon de la fin du XVIème siècle :
« C’est vrai, je suis un scélérat, quelqu’un de malfaisant.[...] Je suis prêt à tout pour régner sur ce pays rongé par la guerre, pour le protéger. Si personne ne se dévoue pour unifier notre nation et pour la gouverner, alors elle sombrera sous des flots de sang et des montagnes de cadavres. » Est-ce que le mythe est égratigné ?
Évidemment, et c'est une démarche logique dans le leitmotiv Kojimien de désacralisation des icones qui passent par la réécriture (parfois considérer à tort comme du retcon) de l'Histoire, par le retournement de situation (Big Boss qui se dote d'une part sombre en employant des subterfuges) et par l'usage ingénieux de la mémétique (car utilisée dans le média vidéo-ludique).
Ceux qui ont fait
MG1 et
MG2 voyaient dans le personnage de Big Boss un véritable héros déchu, « le soldat légendaire » mais
MGS3 nous apprend que ce bon vieux Naked Snake était un « brave type » mais que son titre de Big Boss (victoire sur The Boss) est usurpé car mis en scène,
Peace Walker nous apprend que l'autorité et les états de service de Big Boss ne pèsent pas lourd face à la menace nucléaire,
MGS4 nous apprend que la légende de Big Boss est faîte d'exagérations et de mensonges construits par Zero et
MGSV nous confirme les propos d'Eva sur la "légende" Big Boss. Mais c'est bel et bien grâce (à cause) à cette légende que les hommes se rassemblent autour de Venom, des Diamond Dogs puis de Outer Heaven se dévouant à son idéal, sa cause, ses erreurs. L'affiche « Big Boss is Watching you » en témoigne; Bien sûr il y a encore une référence à
1984 et l'œil averti des joueurs verra que le personnage sur cette affiche est bel et bien Big Boss et non Venom : le cache-œil est différent et il n'y a pas de corne. Les personnages, Venom Snake et même les joueurs sont dépendants du spectre de Big Boss qui plane sur eux : les personnages du jeu dépendent de la croisade de Big Boss, les joueurs de ce qu'ils projettent sur lui (une idolâtrie proche de celle d'Ocelot) et de l'expérience de jeu qui en découle. Il est surprenant, d'ailleurs, que la musique «
Here's to you » (qui colle à Big Boss depuis
MGS4) et qui est présente dans
Ground Zeroes ne soit pas disponible dans TPP tant le propos de celle-ci colle au destin de Venom, de sa disparition, de son sacrifice pour l'Histoire. Enfin, je pense également que le degré de rancœur envers Big Boss vient de l'implication du joueur dans ce nouveau corps vidéo-ludique qui lui est proposé d'endosser à chaque mission (via la mise en scène qui loge le joueur dans la tête de Venom grâce à un léger panoramique circulaire et un court travelling avant, bref un mouvement de caméra quoi).
Rien à voir mais le joueur frustré de ne pas jouer Big Boss peut se consoler en développant la tenue de biker pour son Venom Snake, il aura alors tout du cultissime
Terminator de 1984 puisque cette tenue est quasiment la copie conforme de celle de Schwarzennegger dans la deuxième moitié du film (même bottes, même futal, mêmes gants et quasiment la même veste).
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« I'll be Big Boss! »
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Et j'arrive alors à la démarche de
Kojima et de ces nombreux trailers. Pour ma part, c'est toute sa « propagande » qui me semble être le lien le plus direct avec le fameux
1984 d'
Orwell. Dans le bouquin, le peuple dominé (ou la masse comme on l’appelle parfois) est asservi par une forme de langage qui l'aliène et limite les envolées (les évasions) philosophiques et la pensée étant bridée, il n'y a plus de liberté. Bien sûr les « Vocal Cord Parasites » font référence à la puissance terrifiante du langage et donc de la novlangue de Big Brother mais c'est bel et bien tout le procédé de construction scénaristique induit par
Kojima avec ces trailers qui renvoi à
1984 et aux manœuvres du gouvernement INGSOC. Beaucoup de joueurs ont projeté leurs attentes sur les images et certaines accroches vues dans les différentes vidéos et ont déduit qu'on leur servirait tel ou tel thèmes et/ou scénario. Il est toujours important de prendre ses distances avec les images (rappelez-vous l’introduction « télévisée » de
MGS4 et toute sa « vacuité ») et le montage est une arme redoutable pour faire dire n’importe quoi à certaines images. Comme disait
Brian De Palma, « Le cinéma c'est le mensonge 24 fois par seconde. » ici on parle de jeux-vidéo,
un média qui vous balance du 60FPS en 1080P. Vous voyez ou je veux en venir ?
Kojima a manipulé son audience (bullshité diront les plus blessés) et a poussé les joueurs à se préfabriquer une image de Big Boss qu'ils pensaient cohérente 1/ avec la saga, 2/ avec les trailers. Pourtant, je me répète, Big Mama nous avait prévenu dans
MGS4 : la légende de Big Boss est faîte de beaucoup d'exagérations montées de toutes pièces. Et le plus sympathique dans tout ça, c'est que
Kojima, petit futé, transcende toujours son média. Ainsi sa démarche manipulatrice s'apparente-t-elle à celle des Patriots qui encore une fois (par le biais des trailers donc) a voulu nous faire croire que Big Boss était bien le méchant dans
Metal Gear 1 et
2, le démon (je ne dis pas que c'est un ange non plus, attention), celui qu'il fallait neutraliser (de même que le projet « Snatcher », qui n'était qu'un clin d'œil et une facilité scénaristique de l'époque, apparait comme une manipulation douteuse de Big Boss ou des Patriots pour justifier la présence de 2 Big Boss). Il ne faut pas non plus oublier que pendant plusieurs épisodes Solid Snake n'a été que le pantin des Patriots.
Kojima avec cette manœuvre qui en crispa plus d'un nous rappelle qu'il ne faut pas suivre aveuglement tel ou tel média, idée ou histoire (et surtout pas les jeux vidéo). Et c'est tout le côté postmoderne de la saga
Metal Gear Solid qui s'illustre ici par son articulation autour de ce qui entoure un jeu (les trailers mensongers, les retcons « justifiés », la communication qui introduit certains éléments du jeu, les faux studios...). A sa façon, oui, c'est plus que le quatrième mur qui vole en éclat...
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Metal Gear Solid V ?
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La frustration d'avoir été en partie manipulé par ses attentes et son rapport à Big Boss laisse parfois la place à des remarques contestataires quand à la vraisemblance du projet de Big Boss (un « simple » medic prenant la place du soldat légendaire, allons soyons sérieux !). Si on ignore volontairement le fait que Venom c'est le joueur et que donc il est tout à fait apte à rentrer dans les rangers de Big Boss (les fans de
MGS sont très attachés à leur « lore »), on peut comprendre la grogne de certains, ou pas. Bien sûr, le mythe s'effondre, le joueur n'a plus rien à quoi se rattacher, on s'est joué de lui et pour la « première fois » il est libre de se dissocier de son avatar fantasmé (Big Boss) pour être lui-même un élément du jeu (et de la saga, n’ayons pas peur des mots : le joueur est « canon » contrairement à
Metal Gear : Snake’s Revenge). On est plus le double de Big Boss au sens où on le protégeait lui et les autres Snake grâce à nos talents de joueurs, Venom est Big Boss et
surtout est le Joueur (Bienvenue dans la double pensée évoqué par Ocelot et présente dans
1984, 2+2=5). Les joueurs mécontents sont un peu le "Mosquito" de ce
TPP, un soldat victime de son isolement et de son trauma suite à
Ground Zeroes et qui est persuadé que Big Boss a sacrifié ses hommes et se cache quelque part.
Dans
MGS2, Raiden s'émancipait du joueur, il jetait les Dog Tags avec le nom rentré au début de l'aventure sur un ordinateur, cherchait à reconstituer sa mémoire et il échappait à notre contrôle. Dans
MGSV, Venom devient le joueur après la mission « Vérité », il prend son envol, il s'émancipe de son rapport à la légende tout en continuant à l'incarner.
Deux jeux, deux messages différents et pourtant complémentaires qui s'efforcent de dénoncer toutes les formes de contrôle et prônent un existentialisme forcené. Mais les « puristes » les plus tenaces refusent de s'égarer dans ce genre d'interprétations (de branlette intellectuelle, voyez vous). Non, le medic ne peut pas être Big Boss ! Et pourtant,
Kojima a toujours tenu un discours précis sur l'importance de la mémétique et de l'absence de « héros » (au sens « surhomme ») au sein de son œuvre et l'a même justifié scénaristiquement dans
MGS2 avec le plan S3. Pour les rares un peu perdus, cela implique que n'importe qui peut être Solid Snake (CF
MGS2) ou Big Boss (CF
MGSV). La génétique n'a pas d'influence (dans une certaine mesure bien entendu), ce sont les schémas informationnels et les contextes (quels qu'ils soient) qui façonnent les « héros » qui dès lors peuvent être structurés par imitation/mimétisme via des manœuvres neurologiques, psychologiques, cognitives, historiques... Et c'est là qu'on peut encore une fois faire un rapprochement avec
Moby Dick.
Il est justifié de renvoyer aux références propres à la vengeance (Achab et la déchéance de l'équipage du Pequod, Ici Venom et les Diamond Dogs, le cachalot blanc / traque de « Cipher » comme motivation insensée et destructrice, la baleine de feu qui est une projection mentale de Venom via Psycho Mantis y renvoi d'ailleurs...) ou au jeu sur la notion de « point de vue narratif » en rapport avec le twist final (et le chapitre 37 du bouquin de
Melville) ou encore le fait que
Moby Dick est une œuvre parue sans épilogue à son époque mais j'évoquerais seulement (et rapidement) la notion de « percept » cher à
Deleuze (Philosophe et Théoricien que je connais surtout pour ses écrits sur le cinéma) et qu'on retrouve dans le roman de
Melville et qui flirte avec la notion de mémétique dans ce
MGS particulièrement. Pour
Gilles Deleuze donc, « le métier du philosophe c’est de faire des concepts, le métier de l’artiste c'est de faire des percepts. ». Toute la narration du titre et son déplacement, sa migration (son dévoiement diront les persifleurs) sont autant de percepts pour amener le joueur à repenser son rapport à la saga. Chez Achab, c'est son rapport à l'océan et à Moby Dick (la baleine) qui sert à le définir, il devient percept dès lors qu'il apparait comme une « notion abstraite » pour le lecteur et les personnages. Dans
TPP, c'est cette narration par le gameplay et par sa "nouveauté" (monde ouvert, Buddy System, gestion, FOB) qui va définir ce rapport ténu qu'entretient le joueur avec Venom. Cet ensemble est le stimulus qui va définir la "construction" et la projection du joueur jusqu'au dénouement que l'on sait (« Oni »). Le rapport du joueur face à Venom et la structure de jeu (qui se place en opposition avec l’ancien système des
MGS classiques) le définit et lui permet d’enfiler les rangers d’un « nouveau » Big Boss...
Twist de MGS V in a nutshell : |
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Mais c'est moi !
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Quel déconneur ce Big Boss !
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Il aurait pu mettre "Bisous" quand même...
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Je ne me reconnais plus.
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« C'est toujours les mêmes qui s'y collent ! »
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Après « le refus » de la notion de mémétique vient parfois les interprétations, justifiées pour la plupart par le fameux carton pré-mission « Vérité » : « Les faits n'existent pas, il n'y a que des interprétations. Nietzsche ». Pour chaque personne défendant les « faits » de
TPP (et là bien sûr je pense à la fin), faits avérés par la chronologie je le rappelle, X personnes viennent parler des « incohérences » qui tendraient à prouver qu'il y a « plus » que le message initial de
Kojima. Je respecte totalement leurs visions
lorsque celles-ci sont argumentées et indémontables. Pourtant je n'y crois pas (ça reste mon opinion) et je vais vous dire pourquoi... J'entends, ici et là, quelques penseurs qui affirment que l'on incarne bien Big Boss victime d’hallucinations, de schizophrénie et de moments d’absence aussi dues à ses blessures (la corne !) qu'à son incapacité à accepter la réalité. Ces théories sont justifiés par plusieurs éléments visuels dans un premier temps : Ishmael (Big Boss) n'a pas de barbe sous ses bandages, son sang ne tâche pas ses vêtements et il possède ses deux yeux fonctionnels. Dois-je rappeler que nous sommes dans
MGS ? Ce jeu où les personnages nous incitent à presser telle ou telle touche pour faire x actions ? Le fameux Ishmael ne nous dit-il pas lui-même de
« presser le bouton pour s'accroupir » ou de
« presser la touche d'attaque pour tirer » alors qu'il parle à Venom sortant du coma ? De ce fait, j'ai du mal à me dire qu'Ishmael n'est pas Big Boss uniquement parce qu'on ne voit pas de poils de barbe et qu'il semble avoir l'usage de ses deux yeux (et puis il y a son fameux
« You’re pretty good! »).
Surtout qu'invariablement la communication autour du jeu avec ce fameux masque de
Joaquim Mogren n'est pas là pour rien et que même ce bon vieux D-Dog peut être doté d'un œil artificiel. Il faut bien comprendre que c'est toute la mise en scène de la scène de l'hôpital qui jouit d'un traitement fantastique, au véritable sens artistique du terme, c'est à dire qu'il s'agit de créer une zone frontière entre réel et surnaturel pour que le joueur perde ses repères en jouant notamment sur la perception des évènements (regardez donc l'excellent
L'Echelle de Jacob en passant). Venom sort de 9 ans de coma forcé et quoi de plus immersif pour le joueur que de titiller ses acquis pour lui faire vivre cette traversée de l'enfer, cette évolution forcée du stade de Snake Rampant à Snake Vénéneux ? Tout est histoire de métaphore dans cette séquence. A son réveil, Venom apparait comme un Big Boss juvénile et innocent, il rampe, effrayé, vers l'image de l'homme fort qui se tient devant lui dans un univers dont il ne saisit pas encore tous les enjeux, puis il apprend à se tenir debout puis à tenir une arme et invariablement à tuer : une image assez pessimiste de l'Evolution de l'Homme ou du passage de l'enfance à l'âge adulte mais néanmoins assez juste. 11 ans plus tard, il sera un « oni » à la tête d'Outer Heaven... Et puis que serait
MGS sans ses faux semblants, ses masques ridicules et ses personnalités multiples ?
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Petite image cauchemardesque, juste comme ça.
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Mais quid des cinématiques avec Paz (optionnelles encore une fois, c'est un personnage caché dans la Mother Base) me rétorque-t-on
à raison ? Si elles témoignent en effet des troubles mentaux de Venom et des hallucinations dont il peut être victime (ça et les changements de teintes dans sa vision), je pense que ces séquences sont surtout là pour montrer le trauma de Venom / joueur / Big Boss. Pourquoi ce personnage de jeune espionne compterait-il autant pour ces trois entités regroupées en un « même » avatar ? Pour Big Boss, c'était un personnage clef des MSF, oui... Pour Venom, c'est celle qu'il n'a pas pu sauver dans
Ground Zeroes, oui... Pour le joueur, c'est le personnage avec qui il a expérimenté la « love box », oui... Mais surtout,
Paz c'est la Paix, c'est une évidence. Et c'est une chose qui compte énormément pour tous les protagonistes de
MGS, même pour le belliciste Big Boss (et invariablement encore plus pour l'humaniste Venom), souvenez-vous de l'icône de
Peace Walker qui détourner habilement le fameux « Peace through firepower » en reprenant le B-52 et en ajoutant un « code barre » qui renvoyait à l'économie de guerre, la guerre certes mais avec une optique : la paix. Et quel traitement est réservé à cette paix ? Torturée, violée à plusieurs reprises et finalement réduite à néant dans
Ground Zeroes, dans
TPP elle apparait vidé de sa substance, ses yeux sont vides, elle n'existe que par ses souvenirs, elle est prisonnière d'un marasme dont elle ne parvient pas à s'émanciper et elle porte une terrible cicatrice. Cicatrice qui sera ouverte à nouveau de la plus crue des façons pour y chercher une quelconque réponse à la question
« Why peace day never came ? ». Et bien sûr, aucune réponse satisfaisante. Et puis d'ailleurs, le double de Takeda dans
Kagemusha n'hallucine-t-il pas lui aussi, hanté par le spectre de la guerre symbolisé par le menaçant général Takeda lors de séquences oniriques ?
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Peacewalker: "Peace through Firepower"... with benefits
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Mais il existe tout de même dans ce
MGSV, un espace qui laisse une grande place à l'interprétation : les dernières minutes de la fin du jeu où Venom fait face à son reflet dans le miroir, croisement formidable entre le cinéma de
Lynch,
Tarkovski,
Kurosawa et
Peckinpah (et oui carrément !). Et tout ça renvoi, et je me rapproche de la fin de cet article, au message d'adieu de
Kojima. Je ne parle pas ici de son message au joueur (travesti par le biais de Big Boss à Venom) de leur « existence » dans la série (et ce dès le début, dès 1987 du coup) et de leur importance dans le succès de cette saga mais bel et bien du
« C'est fini, la boucle est bouclée ! », notion que nombre de joueurs soutiennent mordicus qu'elle n'est pas présente. Cette séquence finale fonctionne pourtant à merveille pour clore la saga et
l'usage du plan séquence est des plus justifié : l'absence de cut témoigne d'une migration fluide entre cet épisode de 2015 et l'épisode original de 1987, la forme exprimant plus que les détails « historiques » (on sait ce que deviendra Eli, on sait ce qui se passera avec Gray Fox ou Sniper Wolf)...
Pour rappel, dans cette scène, Venom enclenche la face A («
The Man who sold the World ») de la cassette que lui a envoyée Big Boss, apprenant alors de la bouche de la légende, qu'on est Big Boss métaphoriquement et « officiellement » (comprendre aux yeux du monde), qu'on a fabriqué notre propre existence (et creusé notre propre tombe) et qu'à partir de ce moment là le personnage disparaît au profit du joueur (comme évoqué précédemment). Venom/le joueur sourit, et c'est bien normal. Après quelques secondes, Venom retourne la cassette pour l'insérer, face B (« Intrude N??? »), dans un lecteur MSX (autre liant avec
MG1), formidable ellipse visuelle d'une dizaine d'années confirmée par le changement de l'insigne Diamond Dogs en Outer Heaven. Venom fait une nouvelle apparition devant le miroir mais cette fois-ci il porte les stigmates de ces 11 années de personnification de Big Boss : il est devenu un Oni, un « démon ». Il se regarde un instant dans la glace avant de la briser d'un coup de poing rageur. Le miroir se brise en partie et face au poing mécanique de Venom : un poing humain (celui de Big Boss ? de Venom ? du Joueur ?).
Le spectateur, hagard, cherche alors un repère essentiel à sa perception de Venom : la corne. Mais celle-ci n'est pas perceptible (je ne dis pas « pas présente attention ») car dissimulée par le miroir éclaté : 1/ le reflet est celui de la partie gauche du visage de Venom, 2/ Si c'est Venom derrière le miroir la partie reflétée empêche de voir la corne du Venom qui est au-delà du miroir. Il n'est pas choquant que certains émettent l'idée d'une opposition Big Boss/Venom à ce moment là. La suite pourrait infirmer cette interprétation si une sorte de « flash lumineux » ne venait pas
altérer la scène, comme si celle-ci était « rectifiée » pour que la présence derrière le miroir devienne Venom. Ce dernier apparait donc finalement derrière le miroir et Venom disparait dans la fumée autant symbole du chaos militaire lié à l'intrusion de Solid Snake (revoyez la brume du cultissime
Ran de
Kurosawa) que de la supercherie dont Venom est victime (revoyez la fumée du générique d'ouverture du génialissime
Seppuku de
Kobayashi) autant de symboles que l’on retrouve dans le cinéma japonais des années 60 et 70 et dans cette séquence de fin.
C'est cette scène qui est le plus sujet à l'interprétation, oubliez donc l'hôpital chypriote. Est-ce que c'est Venom qui a construit
toute la légende de Big Boss (comprendre « sauver Sniper Wolf & compagnie ») ? Venom est-il devenu un monstre comme Skull Face (l'apparence d'Oni) ? Se sacrifie-t-il pour la cause comme The Boss en son temps (sa disparition sereine, illustrée par son aspect « nettoyé » quand il disparaît dans la fumée) ? La cassette fait référence à Intrude N312 (Gray Fox) ou N313 (Solid Snake) ? Big Boss et Venom sont-il en conflit (cette mystérieuse opposition) ? Big Boss a-t-il envoyé Gray Fox et Solid Snake pour éliminer Venom (si on répond que Big Boss tendait des pièges à Solid, rien ne prouve que ce ne soit pas Venom vu qu'il utilise une fréquence différente de celle de Big Boss au début de
MG1) ? Des questions qui restent en suspens car cette fois
Kojima ne veut plus noyer l'auditoire sous un flot de détails. Mais ce qu'il faudra retenir, c'est que ce cadeau que nous fait ce game designer formidable (le don de l'identité de Big Boss), il nous l'a déjà repris en 1987 quand le joueur incarnant Solid Snake tue Venom. Dans
MG1, le joueur passera donc par un proxy pour s'éliminer lui-même, détruisant ainsi la liberté gagné dans le dernier opus. Et là la boucle est bouclée et peut recommencer. Le joueur devra alors reprendre les rennes de son existence en passant par les jeux étapes que sont
MG2,
MGS1,
MGS2,
MGS3,
MGS PW,
MGS4 et enfin
MGSV. Clairement, la saga est bouclée.
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"Morning and mirrors only serve to terrify old men." Diary of the dead
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Chapter 3 : Us against the world
Nous venons de mettre en lumière plusieurs des thèmes de ce jeu (et de la saga) et leurs articulations / traitement mais est-ce que tout est parfait pour autant ? Non assurément
pas. Déjà
Kojima ne sait toujours pas mettre de l'eau dans son vin et après les innombrables cutscenes de
MGS4 et leur accueil mitigé, il joue le retournement de veste et en distille « relativement » peu (5H tout de même). Si dans l'ensemble, celles-ci tombent toujours juste (la mise en scène plus sobre colle au sujet), force est de reconnaître que certaines cassettes audio aurait pu donner lieu à des cutscenes qui auraient ravi les fans et apaiser les esprits. Je pense notamment à la scène où Zero, au bord de la dégénérescence, vient rendre visite à Big Boss alors que celui-ci est dans le coma (avec pourquoi pas en fond sonore le fameux «
Father and son » de
MGS4 présent pour la scène finale entre Big Boss et Solid Snake). Le
« Wake up soon Jack. If you don't, I might not remember you when you do. » est de toute beauté, témoigne de la forte amitié de Zero pour Big Boss et méritait peut-être plus qu'une cassette (reste le problème du moment où l'insérer). Le fan service est également assez peu présent ce qui a frustré bien des joueurs. Bien sûr quelques clins d’œil sont distillés ça et là (via Eli, l'IA de the Boss, Ocelot qui cite Big Boss, Psycho Mantis...) mais cela ne semble pas suffire au fan toujours avide de se remémorer telle ou telle scène des opus précédents.
Pire,
Kojima, en bon troll qu'il est (jamais un game designer n'aura eu un rapport haine/amour pour ses fans aussi prononcé), glisse quelques features qui convoquent l'absence des éléments qu'attendaient certains (skin de Gray Fox pour Venom, de Sniper Wolf pour Quiet, « Welcome to Outer Heaven ! » alors que non...) et
Konami d’en remettre une tranche en fournissant des costumes emblématiques de
MGS3 en
DLC payants. On peut aussi reprocher au game designer de facilement retomber dans ses travers de scénariste surtout présents depuis
MGS4 (on sent aussi le changement de coscénariste) à savoir le matraquage de son auditoire (justifié dans
MGS4 pour coller au propos d'un monde où l'information détermine tout). Ainsi le joueur sera assommé (surtout par les cassettes heureusement, cela évite aux cutscenes d’être alourdies par ce travers) avec les parasites présents dans le jeu et s'ils sont une habile façon d'évoquer les débuts primitifs des tristement célèbres « nanomachines » (le jeu laisse même sous-entendre que sans les parasites l'Homme n'aurait pas appris à parler), il reste usant d'entendre toutes les 5 minutes un flot d'informations déjà digérées par le joueur et ce dernier ne pourra que sourire face à la facilité de certaines situations aberrantes résolues par les parasites. Si les fans acceptaient déjà les horripilantes interventions de Rose dans
MGS2, les « nanomachines » omniprésentes de
MGS4 ou les déguisements boiteux de
MGS1 à
MGS3, il leur faudra rajouter à leur coffre à facilités les parasites. Mais c'est aussi ça
MGS, non ? De la série B savamment distillée dans une œuvre plus complexe...
Dans sa structure également le jeu montre quelques « limites ». Si le découpage du jeu en missions est tout à fait adaptée à l'air du temps (d'un côté le format épisodique s'adapte au temps de jeu des « nouveaux joueurs » de l'archipel nippon et de l'autre renvoi également au boom des séries TV, ce qui permet aussi à
Kojima de coller son nom partout, habile pied de nez à
Konami qui a fait retirer
Kojima Prod / « A
Hideo Kojima Game » des boîtes et affiches du jeu, la répartition de celles-ci pose problème et témoignent d'un sentiment d'inachevé (ou plutôt d'une impression) pour certains. Ainsi la fameuse mission « Vérité » qui révèle le twist semble arriver comme un cheveu sur la soupe, non pas du fait que le passif n'est pas présent et ne justifie pas cette mission mais du fait qu'on lance la mission sans qu'elle soit introduit par un liant narratif (de plus celle-ci est quasiment identique à l'originale alors qu'une autre approche aurait pu être intéressante). Les missions « principales » au nombre de 50 sont divisées en 2 chapitres. Le premier chapitre propose 31 misions et le second 19 dont
seulement 6 originales, les 13 autres étant des missions déjà effectuées avec une nouvelle difficulté (ne pas être repéré, largage sans matériel ou difficulté extrême). Bien que les missions « difficiles » soient totalement facultatives et n'entravent pas le déroulement du scénario, le faible nombre de missions pour ce second chapitre a participé à l'impression générale d'un jeu tronqué, amputé. Impression confortée par la fameuse mission 51 retirée du jeu de base (et terminée à seulement 30%) avant la date butoir de sortie du jeu et qui clos l'arc narratif d'un des personnages présent dans
TPP. Manœuvre peu scrupuleuse de
Konami pressé de voir le jeu sortir ? La faute à
Kojima prenant trop de temps ? Choix artistique pour faire sentir au joueur le principe de douleur fantôme ? Peu importe. Les joueurs s'emportent et se sentent floués.
Une autre info (à prendre avec des pincettes) parlerait même d'un chapitre 3 entier passé à la trappe (et qui déchaîne les passions sur le net avec les théories les plus folles) mais la seule preuve étant un carton : « Episode 3 – Peace », je doute que ce chapitre aurait été présent au final du moins en tant qu'arc narratif incluant missions et cutscenes (mais je peux me tromper vu les excavations forcenées de la communauté PC ou la possibilité d'ajouter de contenu via des MAJ). Mais qui sait... Au-delà de cette mission 51 (et du chapitre 3 pour ceux qui y croient encore), le « data mining » du jeu tend à prouver encore une fois que beaucoup de choses ont été retirées ou plutôt non finalisées. L'utilisation du Battle Gear qui disparaît n'est pas vraiment un problème en soi puisque
Kojima avait déjà précisé qu'ils avaient abandonné ce projet car il faussait trop le gameplay du jeu. Plus problématique, la présence de chiens de garde semble également avoir été mise de côté ainsi que de nombreuses interventions vocales d'Ocelot. Avant de se nommer
TPP, le jeu avait pour nom de code une notion assez évocatrice du travail de
Kojima : le projet
Ogre. On connait l'appétit pantagruélique du créateur pour ajouter toujours plus de détails et de features et
Konami se « devait » de sortir le jeu avant que l'entreprise ne s'endette « à cause » de ce jeu. Un meilleur management dès le début de la production aurait dû être mis en place mais quoi qu'il en soit, il manque des choses à ce
TPP.
Peut-on alors parler de jeu pas fini (au sens qu'il laisse un goût d'inachevé) ? Non, pas vraiment. Le scénario de base se tient quoiqu'on en pense et sa structure est « entière », le jeu offre des possibilités de gameplay très variées et une bonne rejouabilité (ceux qui parlent de répétitivité sont uniquement limités par leur imaginaire) et la boucle avec les épisodes de
MSX est bouclée (sur le plan des idées et du propos de
Kojima sur la passation de "pouvoir" et son abandon de la licence) n'en déplaise à certains... Est-il judicieux, ou plutôt nécessaire de revenir sur des personnages comme Sniper Wolf ou Gray Fox ? Assurément non. Le joueur connait parfaitement l'histoire de ces deux personnages et c'est le propre d'Hollywood de saborder ses œuvres à base de préquelles et de remakes insipides. Or
Kojima a été très clair dans ces dernières interventions : il ne veut pas (plus) aborder sa saga sous cette optique. Seule ombre indélébile au tableau cette fameuse mission 51 dont on connait les tenants et aboutissants et que la chronologie de fin rend « canon » malgré son absence de l'aventure vécue par le joueur... Mais peut-être, encore une fois, que révéler l’existence de cette mission fait partie de la stratégie de Kojima ? Pourquoi avoir laissé des traces de sa présence sur un dvd de bonus si ce n’est pour attiser les passions ? On pourrait avoir un élément de réponse en analysant le chapitre 2.
Revenons un instant sur ce chapitre 2. Il s'intitule « race » en anglais. La traduction française y a vu le mot « Course » mais comme les traducteurs de cet opus ne sont pas vraiment brillants (je suis gentil), on pense dans un premier temps à une erreur. Il faudrait lire sur le carton « Race » (au sens Ethnie) et non pas course. Alors on sait que le principe de Race est important dans
Moby Dick (le pequod est un melting pot de chasseurs de baleine) mais est-il vraiment au centre du récit de ce
TPP ? Bien sûr le langage y est abordé et le côté viral de celui-ci est une idée formidable en soit (vos soldats sains les plus doués seront susceptibles d'apprendre les langues de leurs camarades infectés au risque d'en mourir) mais je me demande si la traduction française n'a pas tapé juste avec sa « Course ». La course à quoi me direz-vous ? La fin du chapitre 1 semble avoir créé plus d'impasses que de voies de secours : Kaz est prisonnier de sa vengeance (
« It doesn't feel like this is over »), Huey de ses mensonges, Eli de ses complexes, Quiet de sa malédiction, Venom de sa raison d'être. La courses au réponses évidement, et celle-ci se traduit bien sûr par le désir d'en apprendre plus sur le scénario (avec l'espoir pour le fan de voir des liens avec les opus qu'il connait bien) mais également la course à la complétion quitte à se prendre la routine militaire dans la gueule via les side ops « répétitives » et en ça le message est clair : pour nous comme pour Venom, la guerre devient une routine usante (
« un autre jour dans une guerre sans fin » souvenez-vous, et c'est là qu'on se dit que Big Boss / Venom / le joueur est un « Oni ») et, enfin, invariablement la course au FOB (les bases des autres joueurs, élément pervers du jeu développant la paranoïa et l'envie de se doter de LA Bombe) et leur pillage.
C'est aussi ça être Big Boss et vivre son « rêve », une guerre sans fin (vu que le
« Peace Day never came »), un combat qui perd toute sa saveur au fil du temps jusqu'à transformer ses hommes en denrées quantifiables et calculer le coût de tel ou tel assaut (et on rejoint dès lors le discours de Solid Snake lors de l'introduction de
MGS4). Big Boss a une vie bien terne en définitive. Mais, seule lueur d'espoir dans ce spleen du soldat, il y a l'espoir du désarmement nucléaire et de la fin (à tous les sens du terme) qui en découle. Car
Kojima n'est pas dupe, s'il sait que le langage est viral, il sait que l'information l'est tout autant, que les joueurs vont apprendre rapidement qu'il existe une fin liée au désarmement nucléaire. Si on reprend la demo
P.T. (sortie pendant le développement de
TPP) dirigée par
Kojima, on se rend compte à quel point le bonhomme a voulu inclure le travail de recherche de la communauté à son projet et à l'élucidation de son énigme. Tout cela pourrait expliquer cette dichotomie entre le chapitre 1 prolifique et ce chapitre 2 plus anorexique. Ce chapitre 2 est là pour que les joueurs acceptent leurs conditions de fantôme, s'unissent en Venom Snake (les fameux 108 fragments) et parviennent à la vraie finalité du jeu : le désarmement nucléaire.
« This is not about the past, we're fighting for the future. » insistera Venom auprès de Kaz. On pourrait dire que j'interprète beaucoup mais cette piste de lecture me semble cohérente. Il n'y a pas de perte des repères moraux (quoique certains auront du plaisir à faire des nukes), pas de démons (il n'y en a jamais eu dans
MGS), il y a juste une avancée commune (utopique ?) vers un avenir meilleur (bien que virtuel) après avoir perdu (sacrifié) beaucoup (cf la phantom pain de Venom / joueur explicité précédemment).
Dès lors le fameux carton « Chapitre 3 - La paix » serait une invitation à éteindre la console et à vivre sa vie, le cœur léger (et confirmerait, comme je le pense, qu'il n'y a pas de Chapitre 3 en tant que structure classique, comprendre : plusieurs missions et une nouvelle fin). Ceci dit, certains semblent persuadé qu’après la fin du nucléaire des éléments se débloquent autres que des cutscenes comme le fameux retour au camp Oméga (promis par
Kojima) et pourquoi pas cette fameuse mission 51 qui a « fuité » ? Oui je sais, c'est beau de rêver. En cela, l'ombre de The Boss pèse bien sur le jeu et sa présence sur la Mother Base (en tant qu'I.A) apparait des plus justifiée à travers ce message de paix... Je suis curieux de s’avoir, si la démarche s’avère exacte, si nos chers médias télévisés oseront montrer que le jeu-vidéo est moins diabolique que ce qu’ils prétendent pour faire leurs choux gras. Mais malheureusement au fil des jours qui passent, les joueurs ne voient pas venir cette fameuse cutscene, ils sont dans la position de Paz,
« Le jour de la paix n'est jamais venu »...
« Life is a bitch you can't pay » chantait l'ami
Garth et
Kojima de troller les joueurs sur twitter en parlant des 2 saisons de The Hiding et d'une saison 3 à cette série qu’un coup il ne trouve pas, qu’un coup il possède (il est tellement drôle).
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L'ombre de The Boss pèse sur toute la saga.
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Mais bon au delà de tout ça, il y a ça : |
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BEST MGS EVER!
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En conclusion, (très rapide car c'est un assez long article au final), je peux comprendre que l'on soit déçu par certains éléments formels (nouvelle forme d'articulation des missions, narration moins démonstrative), par des choix contestables pour certains, par un hermétisme au message du jeu ou, à plus juste raison, par les coupes qu'a subit le jeu (et au fond je m'en moque
« Well it's your opinion... » disait The Dude dans
The Big Lebowski) mais ce qu’il ne faut pas laisser passer c'est les raccourcis faciles et subjectifs du genre
« Ce n'est pas un bon MGS » (alors que tout ce qui fait le sel d'un
MGS reste présent),
« C'est un jeu tout juste moyen » (rares sont les jeux à offrir un tel degrés de complexité et un gameplay aussi fun) ou encore les
« Ce jeu est fini à la pisse. » (Même pas besoin de m'exprimer là dessus tellement c'est de la bêtise). Oui ce genre de propos hasardeux se retrouve un peu partout sur le net et même sur certains groupes de discussion de fan de
MGS... On pourra me taxer de fanatisme, me dire que je ne suis pas objectif ou que je pratique la branlette intellectuelle (j'ai eu droit au trois) mais, encore une fois, je pense avoir été juste dans mes analyses...
Je regrette d'ailleurs de ne pas être aussi versé dans les aspects philosophiques, analytiques, linguistiques et même historiques que certains pour pouvoir approfondir le sujet mais les différents échanges que j'ai pu lire sur les forums avant de finaliser mon article sont autant d'approches intéressantes que je vous invite à découvrir. J’en profite pour saluer quelques personnes comme Garth Halgar, Thorongil, Murcielado ou Unbreakable971. Ce qui ressort également de tout cela, c’est que ce
MGS reste le plus « Japonais » de la saga au final, en bien (les thèmes, leur articulations, les symboles) comme en mal (la construction du jeu, le rapport à certains éléments de game design) et c'est peut-être pour ça qu'il m'a fait une si forte impression et si je partage la sensation de manque (en très grande partie voulue) de certains, je ressors de ce jeu avec l'impression d'avoir jouer à une œuvre majeure de l'industrie du jeux-vidéo assumant des parti-pris des plus audacieux. Et si certaines lacunes scénaristiques subsistent, le discours en vaut la chandelle. Merde, c'est mon
MGS préféré en fait parce qu'il est
le juste écho à tous les épisodes précédents. J'espère au moins que la lecture de ce texte aura été utile à quelques uns (jetez un œil à
L'Homme qui tua Liberty Valance by the way).
Les petits plus pour ceux qui ont lu jusqu'au bout :
1. « Ce que veulent les fans » |
Pour contenter les uns et surtout témoigner des dissensions qui règnent chez les joueurs, voici en bonus à cette analyse la fin telle que l'aurait voulu de nombreux "fans", plus conventionnelle, démonstrative et moins réflexive mais néanmoins jouant un peu plus sur l’émotion et le fan service.
Fin alternative.
2. « The man who wasn't there » |
La fameuse mission manquante dont les cutscenes sont terminées à 30%.
3. « Dr Strangelove or : How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb » |
Le plus beau message d'espoir jamais offert.
Le Twist de MGS V: TPP en 20 secondes.
I'm the dude... .
5. « Nobody's Perfect » : |
Pour ceux qui croient qu'incohérence et facilités scénaristique ne se trouvent QUE dans MGS V : The phantom Pain.
Metal Gear?
6. La scène d'anniversaire avec Quiet |
Une série de vidéos qui éprouve les mythes sur la richesse du gameplay de MGS V.
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