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Infiltration vs infiltration: débat avec Jordan Amaro et Mike Bithell
08/04/2014 à 22:10
par metalgearsolid.be
Que se passe-t-il lorsque deux designers sont réunis pour discuter de leur approche radicalement différente sur la conception d’un jeu d’infiltration ? Le site Eurogamer a eu l’excellente idée d’inviter Jordan Amaro designer sur Metal Gear Solid V : The Phantom Pain et Mike Bithell, le créateur de Thomas Was Alone, qui travaille actuellement sur Volume, un jeu d’infiltration indépendant qui n’est pas sans rappeler Metal Gear Solid 1.
Une entrevue croisée très intéressante dans laquelle les deux designers discutent de l’état actuel des jeux d’infiltration, tout en mettant en parallèle leur travail sur Metal Gear Solid V et Volume. Le débat original étant en anglais, nous nous sommes fait un plaisir de la traduire en français pour vous. Eurogamer : Quelle est votre définition d’un jeu d’infiltration ? Mike Bithell : Hmm. C’est très difficile ! L’infiltration, c’est lorsqu’on joue à un jeu dans lequel l’aboutissement, que l’on gagne ou que l’on perde, dépend de vos choix tactiques, de votre évasion, de votre façon de jouer intelligemment à travers un niveau, plutôt que de votre manière de tuer les gens. Cela ne concerne pas vraiment votre capacité à décimer les lignes ennemies. C’est moins centré sur les réflexes. C’est plus proche du puzzle. Pour moi, les jeux d’infiltration sont des jeux de puzzle déguisés en jeux d’action. Jordan Amaro : Quand je joue à un jeu d’infiltration, j’ai l’impression de restreindre volontairement les capacités de mon personnage. Je maîtrise mes pulsions primitives et j’exprime mon humanité par le jeu. J’ai toujours les moyens de tuer, mais je ne le fais pas. C’est une difficulté que l’on s’inflige à soi-même. On pourrait finir une section en trente secondes, mais au lieu de le faire, on s’infiltre. On attend. On fait diversion et on sauve des vies. Être un joueur d’infiltration, c’est être magnifique. Eurogamer : Qu’est ce qui fait un bon jeu d’infiltration ? Mike Bithell : Bien plus que d’autres genres, tout se définit par la maniabilité. Tous les jeux que j’ai appréciés étaient précis. Des jeux dans lesquels je pouvais trouver par moi-même la solution à un problème, et où rien ne se mettait entre moi et la solution, excepté un manque de précision de ma part. Si j’échoue, je veux que ce soit de ma faute. Cela est vrai pour beaucoup de jeux d’infiltration. Cette sensation de précision, cette certitude du résultat si je fais les choses de la bonne façon, si j’ai tout bien pensé. Toute l’expérience des jeux d’infiltration ramène au côté intellectuel et aux capacités du joueur. Je dois croire que si je peux parfaitement comprendre la situation et parfaitement planifier ce qu’il se passe, rien ne peut mal se passer. Je veux me sentir comme un expert. Je veux être comme Léon. Je veux être le type parfait qui mène son plan jusqu’à sa concrétisation. Eurogamer : Qu’est ce qui fait un bon jeu d’infiltration selon vous, Jordan ? Jordan Amaro : J’aime ressentir que l’espace, le script et les systèmes qui se dressent devant moi n’ont pas été conçus pour moi, le joueur. C’est difficile à expliquer. Quand on joue à certains jeux, on se rend compte que toutes les techniques utilisées sont les mêmes. Quand on joue aux premiers niveaux de The Last of Us, spécifiquement pour les tutoriels, les ennemis restent fixés devant un mur en brique. Ils attendent carrément qu’on les élimine. Dans Assassin’s Creed, les buissons sont étalés de manière étrange et les éléments sont assemblés bizarrement. Autre exemple encore, les trajets des patrouilles dans Deus Ex : Human Revolution sont étonnements courts. Elles s’arrêtent juste devant les recoins... et les conduits d’aération ! Ces pratiques ruinent toute la crédibilité de la scène, de l’environnement. Une fois que l’on ma montrés leur habitudes prédéterminées, ça me fait sortir du jeu. En d’autres mots, l’esthétique a pris le dessus sur les mécanismes. Le monde du jeu s’est transgressé lui-même pour atteindre le joueur au lieu de rester fidèle à lui-même. Mike Bithell : Je me demande si ce n’est pas parce que tu es un game designer que tu vois tout cela. Je suis un immense fan d’Assassin’s Creed, et je dois admettre que j’aime beaucoup le nombre ridicule de feuillages qu’il y a dans le dernier jeu. Cela me donne l’impression d’être encore plus badass que jamais dans un Assassin’s Creed. S’infiltrer avec classe. Le fait qu’il ne soit pas possible de perdre ne serait-ce qu’un combat d’épée dans un Assassin’s Creed ne me dérange pas, parce que ce n’est pas ce que j’attends. Jordan Amaro : Ceci ne porte-t-il pas atteinte à ton intelligence ? Tu sais, ton droit à l’improvisation et à l’expérimentation ? Mike Bithell : En effet. Mais ce qui est important pour moi, c’est que tout cela me permet de m’imaginer être très malin. C’est ça qui est intéressant avec Assassin’s Creed. Hitman le fait également à certains endroits. Je ne suis pas vraiment un excellent tireur. Mais j’adore cette sensation d’être l’homme le plus cool du monde avec un flingue. J’adore jouer les personnages intelligents avec cette connaissance de super espion qu’aucun d’entre nous ne peux avoir dans la vraie vie. Car si nous étions dans cette situation dans la vraie vie, nous serions morts très vite. Mais tu as raison. C’est une question d’équilibre. On ne veut pas que les gens s’en rendent compte. C’est comme la visée automatique. Si elle est si évidente dans un jeu, les gens se diront qu’ils n’y jouent pas vraiment. Toutefois, un petit peu de visée automatique dans Halo te donne de bonnes sensations. L’objectif est de trouver ce juste milieu. Maintenant pour toi, cette mécanique va trop loin. Pour moi ça va trop loin si je pense comme un designer. Mais en tant que joueur, foncer dans le tas, être indestructible, j’aime ça. Mais je vois ce que tu veux dire. C’est étrange. Jordan Amaro : C’est très bizarre. Dans la série Assassin’s Creed, comme par hasard, il y a toujours une branche positionnée juste au dessus de deux gardes et on sait qu’on peut s’en débarrasser en même temps, parce qu’on la fait et refait une douzaine de fois dans cette même situation : une branche au dessus de deux gardes. Nous ne faisons pas ça dans Metal Gear Solid V. On n’utilise pas des objets prédéterminés, comme ce chariot, cette grille ou ce caniveau. On assemble les éléments d’une manière organique, de manière à ce que, quand on pense qu’on devrait être capable grimper sur un toit, on devrait pouvoir le faire. Et non pas parce que le monde est parsemé d’éléments qu’on a l’habitude de reconnaître. Du côté du développeur, ça demande évidemment plus de temps pour être réalisé, parce que c’est un processus à l’ancienne, fait main. Mais l’expérience est radicalement différente. Quand vous êtes dans notre environnement, vous devez observez, vous utilisez vos jumelles, vous marquez les ennemis et vous vous dites : « OK, je fais quoi maintenant ? » Il n’y a pas de route tracée à l’avance. Eurogamer : Jordan, vous réalisez un jeu d’infiltration en monde ouvert. Quelle influence cela aura t-il sur le design de l’infiltration traditionnelle ? Jordan Amaro : Il y a une différence fondamentale entre de nombreux jeux occidentaux et la manière dont nous faisons les choses avec Metal Gear. C’est en partie dû au fait que Metal Gear Solid V est le premier jeu en monde ouvert de Kojima Productions. Nous sommes en train de découvrir ce que cela signifie tout en réalisant le jeu. Il y a de l’inconnu et des expérimentations. C’est effrayant. D’un certain point de vue, cela fait de nous un grand studio indie. Pour le design, ce n’était pas une transition naturelle pour moi quand j’ai rejoint Kojima Productions. Normalement, j’aurais dû commencer à travailler sur des missions en faisant usage de mon savoir occidental. J’ai travaillé chez 2K ainsi que chez Crytek. Je faisais des missions conçues pour le plaisir du joueur en utilisant ce que j’ai appris chez Ubisoft, ainsi que de mes expériences passées dans d’autres jeux. Je designais en ayant le joueur comme préoccupation principale. Tout ce que je réalisais, je le faisais pour le joueur. Il était au centre du jeu. Mais j’avais tout faux. Cela va à l’encontre de la vision de Metal Gear Solid V. Premièrement, il ne s’agit pas que du joueur. Le joueur manipule un personnage à la troisième personne qui se trouve être Snake. Donc l’action est focalisée sur Snake, sur ses faits et gestes. Quand on construit des espaces et quand on instaure des mécaniques, on doit s’imaginer que Snake ne doit pas se trouver sur le chemin des ennemis. Il ne veut pas croiser leur chemin et risquer de se faire voir. Nous avons même dédié un bouton pour que Snake se jette hors de la vue des ennemis. Nous ne pensons pas en termes de « on va vous faire ramper ici, grimper là et ensuite utiliser cette action sur cet ennemi. » Nous pensons à des situations intéressantes qui peuvent se dérouler dans le jeu, à travers les actions de Snake. Deuxièmement, il s’agit du monde. Qu’est ce qui fait sens dans l’environnement ? À quoi ressemblerait un village réaliste en Afghanistan ? Penser de cette manière : « Je vais créer l’expérience de Snake étant Snake » est très différent de celle de : « J’ai placé les éléments et les ingrédients de mon gameplay, et j’ai construit l’environnement tout autour de façon à ce que, en tant que joueur, ce soit amusant ». Pour cette dernière, vous faites alors des actions qui ne reflètent pas celles de votre personnage. Les jeux occidentaux ont tendance à le faire trop souvent. Ces deux façons de penser sont très différentes. Eurogamer : Cela semble difficile pour le joueur, est-ce exact ? Jordan Amaro : Ce sera probablement plus difficile pour le joueur puisqu’il n’y est pas habitué. Les joueurs seront lâchés dans ce monde ouvert et ils verront au loin une grande base militaire, un village ou une ville, à un ou deux kilomètres de leur objectif. « OK, maintenant je fais quoi ? » se demanderont-ils. Il y a de grandes routes où l’ennemi circule parce que ça correspond au contexte et ils sauront que s’ils s’en approchent, une patrouille les attrapera probablement, alors ils devront être prudents. Nous n’élaborons pas les rondes des ennemis et les trajets que peut emprunter Snake de façon à ce qu’on se dise : « Je veux que toi, le joueur, aille chercher ce gars sur le toit en utilisant tels moyens, ensuite fais ceci ou cela parce que c’est fun. » Dans Batman ou Assassin’s Creed, les ennemis sont placés de telle sorte qu’ils regardent à l’intérieur de leur base, et non pas vers l’extérieur, ce qui serait plus logique. En plus ils marchent sur les toits. Ici, le choix appartient au joueur. Nous avons seulement créé un endroit, que nos artistes ont validé, qui, nous l’espérons, aura du sens et qui proposera un défi aux joueurs. Nous espérons que la route que Snake empruntera soit assez subtile et organique pour qu’elle ne saute pas aux yeux des joueurs. Nous espérons révéler le personnage de Snake à travers les actions du joueur, dans ces espaces qui sont intelligemment conçus. C’est de la narration à l’état pur, même si c’est encore primitif parce que les probabilités sont ce qu’elles sont. Mike Bithell : Donc dans ta tête, tu te dis « C’est là où on pense que Snake ira ? » Jordan Amaro : Oui. Mike Bithell : Donc tu penses qu’un joueur essaiera de faire ceci ou cela ? Jordan Amaro : Oui, c’est ce à quoi nous nous attendons, mais c’est principalement construit autour de Snake et de ce chemin furtif. Avant cela, les artistes créent le monde ouvert. Ils l’embellissent, lui donnent un sens en termes de topographie et de météo. Ce sont les premières personnes qui ressentent vraiment ce qu’est l’âme de l’Afghanistan. Nous intervenons après cette étape en évitant de détruire leur travail, parque qu’ils sont déjà assez proches du réel. Quand nous intervenons, nous nous demandons de quel endroit vont venir les joueurs pour la première fois ? Quelle route prendra Snake ? En tant qu’agent expérimenté sur le terrain, où irait-il? Eurogamer : Donc, pour vous Mike, c’est évidemment très différent ! Mike Bithell : Oui ! Je manque donc d’ambition... Cela ne m’est pas accessible. Je ne peux pas simuler un monde ouvert. À moins que je ne devienne très abstrait, je ne peux pas. Il y a d’autres manières de le faire. Il y a des mondes ouverts dans les jeux indés, mais ce n’est pas possible pour moi. Je ne pourrais pas le faire de la manière qui me plaît. Si je devais faire un jeu d’infiltration dans un monde ouvert, il me faudrait votre budget, tout simplement. Jordan Amaro : Grâce aux jeux auxquels j’ai joué et l’expérience que m’a apportée mon travail, j’en suis venu à la conclusion que nous sacrifions tout au bénéfice du gameplay et du fun. Mais ce ne sont que quelques éléments d’un jeu. J’ai vraiment de la peine pour les environment artists. J’ai adoré The Last of Us, mais quand je rentre dans la centrale, alors que mon frère me parle, et que nous marchons, je pouvais repérer tous les endroits où se planquer. Et je sais que je vais facilement passer ce niveau, car il est conçu dans le style typique de Naughty Dog. Tout ça a déjà été fait. C’est un peu obsolète. Si j’avais travaillé sur ce jeu, j’aurai tout fait pour éviter ça. Je n’aurais peut-être pas réussi, mais j’aurai réduit la séquence de tir de moitié et j’aurais fait progresser les joueurs par un autre endroit. Ou alors, ils auraient fait le tour pour qu’ils puissent avoir un autre point de vue d’un lieu qu’ils ont déjà traversé. Dans Uncharted 3, on fini par revenir sur nos pas dans presque toutes les missions, et je déteste ça. Évidemment, c’est facile de dire ça maintenant que le jeu est sorti. Après tout, il y a des circonstances particulières pour chaque production de jeu qui expliquent le résultat final. J’espère que mes amis de Naughty Dog ne le prendront pas mal. Mike Bithell : The Last of Us était volontairement old-school en termes de design. Les parties furtives de The Last of Us m’ont rappelé Metal Gear Solid 1. Et c’est la raison pour laquelle je les ai adorées. C’est là où nos goûts divergent. J’adore repérer les endroits où on peut se planquer. Gears of War en est la référence par excellence. J’adore me balader dans Gears of War et me repérer. Eurogamer : Je commence à comprendre vos approches différentes. Mike Bithell : Je suis un très grand fan de Metal Gear Solid, voici ce que je ressens pour Snake, et c’est intéressant comment Hideo Kojima l’a mis en scène dans MGS2. Snake c’est le héros, c’est une p**tain de bombe, et de temps en temps, j’aime prétendre être Snake. C’est génial, mais je me mets dans la peau d’un héros. Dans Volume, on peut prétendre être l’homme de 22 ans le plus intelligent de toute l’histoire Britannique. On est un génie. Lorsque Snake entre dans une pièce, rien ne lui échappe. Vous ne pouvez rien lui cacher. C’est mon rôle en tant que joueur de me synchroniser -- tiens, me revoilà à reparler d’Assassin’s Creed -- avec la réalité de Snake. Voilà comment on fait la connexion. Voilà comment je perçois Metal Gear Solid. Et c’est pourquoi Raiden est si intéressant. Raiden nous permet de voir Snake à travers une autre paire d’yeux dans le jeu. Et tout ce qu’ils font dans MGS2, où Raiden commence à découvrir Snake et à le connaître, c’est Hideo Kojima qui créée ma relation avec Snake à travers Raiden, moi, le petit rejeton dont on se moquait tout le temps. J’avais 15 ans quand j’ai joué à ce jeu. C’est le gamin qui se fait toujours rejeter mais il veut s’afficher avec Snake. Cependant Snake est bien trop cool ! C’est ce que j’aime avec Snake. C’est ça la différence. C’est Brecht et Stanislavski. On a créé Snake en me disant à quel point je suis plus bête que Snake, et en m’apprenant à être Snake. Sauf que dans mon jeu, Volume, on est déjà Snake. On est génial. C’est une approche différente. Eurogamer : Êtes-vous d’accord avec cela, Jordan ? Jordan Amaro : Je comprends. Et cette façon de penser marche parfaitement avec Batman par exemple. Mais pour Metal Gear Solid, nous préférons exposer le joueur à des situations auxquelles il n’a pas le contrôle total et faire en sorte qu’il ne se doute pas de tout ce que le jeu a à lui offrir. Snake ne sait pas où tout se situe parce que... comment le pourrait-il ? Et nous n’allons pas tordre le jeu pour que tout soit apparent. Cette fois, on se situe au même niveau que lui. Mais ça reste un monde ouvert, n’est-ce pas? Si tu veux flinguer tout le monde, tu te sentiras comme une vraie bête. Et tu te sentiras peut-être dans la peau de Snake, mais en réalité tu ne seras pas Snake. De notre point de vue, Snake n’est pas ce type de personne. Nous avons réalisé un jeu dans lequel on peut provoquer ou subir la bagarre. On peut se sentir dans la peau de Snake à ce moment-là. Mais tout le monde sait que ce n’est pas vraiment Snake, n’est-ce pas ? C’est une déclinaison. Une version. Eurogamer : Dans ce cas, pourquoi avez-vous laissé cette possibilité dans le jeu ? Jordan Amaro : Hideo Kojima voulait voir ce que cela signifiait d’amener la saga dans un monde ouvert. Il voulait faire en sorte que le joueur se rapproche de Snake, en abandonnant [de son propre chef] ces possibilités. Pour ce faire il a également réduit le nombre de cinématiques. Il veut qu’on se sente proche de Snake, Il a donc réduit cette divergence et il observe ce que le joueur en fait. C’est aussi pour cette raison que Snake ne parle pas autant. Hideo Kojima a d’ailleurs dit que si Snake parle trop, alors on devrait payer davantage Kiefer Sutherland ! Eurogamer : Aujourd’hui, les jeux d’infiltration sont très différents de ceux de l’époque où le premier Metal Gear Solid est sorti. Ils ont l’air davantage orientés vers l’action. À quoi est due cette évolution ? Jordan Amaro : L’argent ! Mike Bithell : Je pense que c’est une tentative d’élargir la cible au delà de celle qui est déjà établie. Je ne me souviens pas que les amateurs des jeux d’infiltration aient demandé tous ces changements. Je n’ai pas le souvenir que les joueurs demandaient « Oh j’aimerais vraiment que Garrett [Thief] puisse tuer des gens avec un arc mitrailleur ». Dans Metal Gear Solid, Snake pouvait tuer avec son combo à trois coups, Garrett avait ses outils pour le faire, et Sam Fisher avait des armes. Ça a toujours existé, mais je crois que l’équilibre a été perturbé. Je préférais la vieille méthode où la violence était seulement nécessaire pour s’enfuir. La violence était la conséquence de nos erreurs. Alors que Metal Gear reste fidèle à la tradition, à l’exception de certains moments dans le quatrième épisode. J’avais l’impression que si je tuais des gens, c’était parce que j’avais échoué quelque part. Voilà l’équilibre que j’apprécie. Si votre approche est celle-là, alors je n’ai aucun problème. Là où j’en ai un, c’est quand la violence face à la furtivité devient un choix. On le voit surtout dans les campagnes marketing, bien plus que dans le jeu lui-même. Si vous regardez la manière dont Splinter Cell : Blacklist a été médiatisé, les publicités sur YouTube scandaient « Play it your way » (Jouez à votre manière). Pour moi, ça va beaucoup trop loin. On dirait qu’on essaie d’attirer les amateurs de Gears of War à s’essayer à un jeu d’infiltration. À partir de là, mon intérêt se dissipe, car je sais que ce n’est pas pour moi. Jordan Amaro : On peut répondre à cette question que c’est une façon légitime pour n’importe quel business d’élargir sa clientèle afin de gagner plus d’argent pour faire plus de jeux. Une autre réponse possible serait, qu’en permettant d’avoir recours à toute cette violence dans le jeu, nous ne faisons qu’exprimer ce que les personnages peuvent faire dans le jeu. Pourquoi Sam Fisher aurait-il besoin de fuir tout le temps ? Pourquoi Garrett aurait-il besoin de fuir ? N’ont-ils pas été préparés ou assez entraînés ? C’est légitime. Mon personnage est un agent. Il a des armes, alors pourquoi ne pourrait-il pas jeter des grenades ou utiliser un lance-roquettes ? Eurogamer : Dans ce cas, pourquoi s’ennuyer avec l’infiltration ? Jordan Amaro : Parce que c’est l’essence même d’une franchise déjà existante. Mike Bithell : Dans Metal Gear Solid 4, utiliser une arme n’était pas la meilleure option. C’est ce qui maintient l’équilibre, selon moi. Les armes devraient être ressenties comme des instruments de dernier recours dont l’usage peut nous mettre en danger. C’est précisément là où j’ai perdu le fil avec Splinter Cell, parce que dans le nouveau Splinter Cell, on peut carrément y jouer comme un third person shooter et terminer le jeu beaucoup plus rapidement. Les joueurs ont tendance, même s’ils n’en ont pas pleinement conscience, à choisir le chemin qui leur offre une moindre résistance, dans un jeu. Je pense qu’il est possible d’avoir des armes dans un jeu d’infiltration, sans ruiner le côté infiltration. Ce n’est pas le jeu d’infiltration que j’ai choisi de créer. Avec Volume, j’ai choisi d’aller à contre courant, mais c’est quelque chose que je m’autorise à faire puisque mon personnage est un gamin des rues. Mon jeu met en scène un garçon qui ne comprend pas les armes. Ça ne lui viendrait pas à l’esprit d’avoir une arme. Il n’a jamais tué. Il ne le veut pas. Eurogamer : Jade Raymond m’a expliqué qu’ils essayaient de rendre Splinter Cell plus accessible parce que l’infiltration est trop compliquée pour beaucoup de gens. Mais le mot « accessibilité » reste un gros mot pour les fans du genre. Mike Bithell : Si vous créez un jeu qui coûte des dizaines de millions, vous devez justifier le budget. Ça je l’ai bien compris. Mon argument est que le genre infiltration s’adresse à une audience de niche. Et si les développeurs le considèrent comme tel et s’ils acceptent l’idée que tout le monde ne jouera pas à ce type de jeu, alors on ne transformera pas un jeu d’infiltration en un Call of Duty. Volume ne vendra pas des masses. Volume connaîtra probablement moins le succès que Thomas Was Alone, mais ce jeu est fait de façon à ce que ce ne soit pas grave. Volume est moins abordable qu’un jeu de plateforme indé. En vérité, je suis simplement aussi cynique qu’Ubisoft. J’essaie de capitaliser sur un marché de niche. Ce que je dis, c’est que je sais qu’il y a probablement un million de gens dans le monde entier qui veulent un véritable jeu d’infiltration, et qu’ils veulent également un éditeur de niveaux. De ce fait, offrir la capacité d’éditer des niveaux est motivée autant parce que cette une option intéressante pour les joueurs, que par le fait que cela poussera les gens à y jouer et à en parler autour d’eux et donc d’en faire la pub. Eurogamer : Vous dites que le genre de l’infiltration est un genre de niche. Mais je me rappelle que Metal Gear Solid était le plus grand jeu de tous le temps. Mike Bithell : Ce n’était pas à cause de son aspect infiltration, mais parce qu’il ressemblait à un film. C’était cinématographique. C’étaient les mots qui ressortaient le plus lorsqu’on parlait de Metal Gear Solid, bien avant que l’on dise que ce sont les cinématiques qui pourrissent la série. Je crois qu’un grand nombre de gens qui ont aimé Metal Gear Solid l’ont aimé malgré l’infiltration. Je me rappelle avoir été grandement frustré par l’infiltration. Mais j’ai continué à y jouer parce que je voulais voir la cinématique suivante. Oui, c’était énorme, mais ce que je veux dire, c’est que c’était un jeu qui s’adressait à un public plus varié, alors qu’il était destiné à une audience de niche. C’était un grand jeu dont le gameplay visait, à l’origine, un public restreint. Jordan Amaro : L’accessibilité... Je ne sais pas quoi dire à propos de cela. C’est un sujet très sensible. Aidez-moi, que veut-on dire par « accessibilité » ? Veut-on parler d’un bon design ? Devons-nous changer les valeurs du jeu, le cœur du jeu ? Mike Bithell : Le but est que le plus grand nombre de personnes possible se sentent à l’aise en jouant au titre. Jordan Amaro : Ça voudrait donc dire un bon design, n’est-ce pas? Mike Bithell : Il s’agirait un design qui s’adresse à un public plus large, non ? Eurogamer : Pour beaucoup, cela veut dire le nivellement par le bas. Cela veut dire que ce que les fans connaissent et ce qu’ils aiment est édulcoré. Jordan Amaro : Ce que je peux vous dire pour Metal Gear Solid V, c’est que si vous ne changez pas les options, vous disposez des marqueurs et de tous les éléments que l’on s’attend à avoir d’un jeu occidental. Mais si vous allez dans les options et que vous désactivez ces derniers, alors ça devient hardcore et plus difficile. Ne serait-il pas un bon exemple d’un jeu qui est accessible par défaut, mais dont la difficulté serait ajustable afin de satisfaire les joueurs plus exigeants ? Mike Bithell : Le problème reste que le jeu par défaut représente l’expérience définitive de Metal Gear Solid V. Jordan Amaro : Je ne sais pas pour toi, mais moi, quand je commence un nouveau jeu, je vais directement dans les options pour voir ce qu’il s’y trouve et je les ajuste à ma façon. Eurogamer : Cela n’affecte t-il pas le design jusqu’à la racine ? Jordan Amaro : Nous en avons discuté au studio. Nous avons créé des missions pour les gens qui avaient le temps et pour ceux qui n’en avaient pas. J’en ai parlé avec Patrick Plourde, le creative director pour Far Cry 3. Il m’a dit qu’il faisait aussi des jeux pour ceux qui rentrent chez eux après une dure journée au boulot, quand ils sont crevés, ils allument la console, ils se mettent à jouer et ils veulent immédiatement comprendre. Allons-nous rejeter ces gens ? Ne devrions-nous pas nous occuper d’eux ? Je ne pense pas que nous devrions les négliger. Je pense que la bonne réponse est de leur proposer quelque chose d’accessible par défaut tout en laissant aux joueurs hardcore la possibilité d’explorer les options et de les calibrer pour façonner leur propre jeu. Je ne suis pas en train de vous déballer tout le baratin d’un responsable de relations publiques. Dans Metal Gear Solid, on peut modifier la difficulté et les marqueurs selon ses préférences. Bien que je sois designer, quand j’ai désactivé toutes les aides, c’était difficile pour moi d’y jouer parce que si je n’étais pas assez prudent, ou si je sprintais, j’étais vite repéré depuis une tourelle, et boum, c’est fini. Mike Bithell : Quelle que soit la version par défaut de votre jeu, c’est celle-là à laquelle je jouerai, parce que, en toute franchise, quand je commence un jeu, je suppose que les réglages par défaut représentent l’expérience définitive. Et c’est l’expérience qu’auront 99% de vos joueurs. Je pense qu’il y a une tendance très inquiétante dans la culture gamer : c’est que l’on accorde beaucoup trop d’importance à l’expérience que pourrait vivre l'autre joueur. Comment cela pourrait affecter ma propre expérience de jeu ? Surtout dans un jeu solo. En principe, la façon dont quelqu’un d’autre joue au jeu ne me regarde pas. En tant que consommateur, je m’en fiche. Si vous faites en sorte que le jeu puisse être calibré pour être le plus dur du monde, et que je joue de cette façon, tandis que l’autre là-bas joue à une autre version, Super ! Nous nous sommes divertis exactement de la manière dont nous souhaitons. Le problème que rencontre la culture gamer c’est l’impression que, d’une certaine manière, le gars qui joue à la version la plus facile dévaloriserait l’expérience de l’autre joueur. On voit ça dans toutes les discussions - cette idée que si untel a cette chose qu’il désire, ça m’affectera aussi. Vous voyez ça aussi dans les débats sur le sexisme et le racisme dans les jeux. Si cette personne là-bas peut faire une chose que j’estime mauvaise, si ce jeu qui vient de sortir ne répond pas à mes goûts, alors cela m’affecte. Il y a une revendication dans cette discussion qui me gêne. Ça me gêne qu’il y ait des gens qui se plaignent que, bien que je ne devrais pas être obligé d’aller dans les options pour avoir le jeu que je désire, ça devrait être par défaut. Et je suis avec vous sur ce point. Cela me paraît assez juste de laisser au joueur l’opportunité de régler la difficulté à sa guise. Cependant, je ne pourrai m’empêcher de penser que la véritable expérience de Metal Gear sera celle avec les options livrées par défaut. C’est là que nos avis divergent. Jordan Amaro : Quand je lance Splinter Cell, Deux Ex et Thief 4, je vais immédiatement dans les options et ensuite en mode réaliste. Je ne comprends pas pourquoi les gens en font tout un tas. Je sais que si j’appuie sur start, je n’aurai pas le jeu que j’attends. Donc, je vais naturellement dans les options pour calibrer le jeu. Eurogamer : Pour contrer ça, avec le dernier Splinter Cell, même si on le règle sur la plus haute difficulté et qu’on désactive des choses comme le « Mark and Execute », le jeu reste quand même très différent des attentes des fans de jeux d’infiltration. Mike Bithell : Le jeu a été conçu autour de ces concepts. Eurogamer : Ma question est donc... Jordan Amaro : Faut-il éviter de créer un jeu de manière à ce qu’il impose certaines situations, ou qu’il vous fasse fortement ressentir que vous êtes forcés à tirer ou à modifier votre approche du jeu ? Eurogamer : Exactement. Jordan Amaro : C’est là toute l’importance du level design, comme nous en avons parlé. C’est la vision du projet. Dans un monde ouvert, ça ne nous pose pas de problèmes. Mike Bithell : Votre approche du design est moins structurée que la mienne. Prenons Volume. Imaginons une réalité alternative où les casiers dans lesquels on peut se cacher sont considérés comme la crème de la ringardise du game design, et qu’il y ait une option dans les menus pour désactiver ces casiers. Dans ce cas, on ne peut plus jouer à Volume car c’est ainsi qu’a été conçu le jeu. On ne peut pas activer ou désactiver quoi que ce soit. Je n’inclurai probablement pas de niveaux de difficultés supplémentaires. Ou peut-être que si ! Mais ma priorité sera toujours de créer d’abord la version du jeu à laquelle je veux que vous jouiez. Et ensuite je ferai peut-être une version plus facile, si les joueurs le désirent. Je suis focalisé sur une façon de faire qui n’est pas la vôtre. Vous tentez de créer un jeu dans lequel vous avez une idée du chemin que le joueur va emprunter mais au final c’est un jeu systémique. C’est du moins comme ça que je l’entends. Mon jeu [Volume] est conçu de manière plus restrictive. C’est une limite que je dois m’imposer en tant que designer. Eurogamer : Donc, ce que vous nous dites, c’est parce que Metal Gear Solid V est un monde ouvert que vous arrivez à éviter les problèmes dont le dernier Splinter Cell a souffert ? Jordan Amaro : C’est systémique. Nous nous débarrassons de tous les fardeaux narratifs. Nous visons des objectifs indépendants, et nous nous débarrassons simplement de tout ce fardeau narratif. Nous nous concentrons sur ce qui fait une bonne mission au coeur même du niveau. Si je vais voir mon lead designer et que je lui dis : « j’ai en tête cette super mission dans laquelle on doit écouter une conversation, où on traque deux gars et dans laquelle on doit éviter tous ces gardes qu’on a minutieusement disposé dans le village... » Cette mission serait probablement approuvée en Occident, du fait que j’ai clairement expliqué ce qui fait qu’elle semble bonne : des patrouilles, des endroits intéressants à traverser, le rythme, etc. Mais ça ne fonctionnerait pas dans notre studio, parce que nous ne pensons pas que faire simplement bouger un personnage est une interaction intéressante. Se contenter de bouger le personnage et de rester assez proche des cibles. Mais que se passe-t-il si on ne fait pas ça ? Devons-nous recommencer la mission ? Nous ne considérons pas cette expérience comme étant satisfaisante. C’est pourquoi, nous ne le ferons pas. Mais, nous ferons des missions de courses poursuites, par exemple. On peut toujours les terminer grâce aux systèmes que nous avons mis en place, sans avoir à tirer une balle. Vous devrez vous débrouiller pour trouver un moyen d’arrêter leur voiture et de vous en approcher. Je ne comprends pas pourquoi autant de gens appellent certains jeux des mondes ouverts quand ils n’en sont pas. D’habitude, il y a une distinction fondamentale entre le mode mission et le mode liberté. Quand on joue à beaucoup de mondes ouverts, nous sommes en réalité bloqués dans un couloir qu’on ne peut pas quitter. Ou alors vous êtes pris dans une chaîne d’actions dont vous ne pouvez pas vous défaire. Vous pouvez être dans une ville, mais vous êtes en réalité coincé dans un couloir à l’intérieur même d’une ville. Est-ce ça un monde ouvert ? Je n’en suis pas si sûr. Eurogamer
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