Pour la deuxième fois, Bokurano de consolesyndrome.com nous propose une analyse très pertinente sur la saga des Metal Gear Solid. Après Raiden et Metal Gear Solid Rising, ce sont les boss de la série qui passent sur grill.
La plupart du temps, le boss peut se résumer en un sinistre individu plus coriace que ses congénères. Il aime faire simple et se contente d’un rire démoniaque comme unique trait de caractère ou bien encore d’un monologue sur les bienfaits de l’apocalypse, avant de disparaître de nos mémoires aussi vite qu’il est apparu. Depuis le premier
Metal Gear Solid, la série s’applique à rendre mémorables les affrontements avec les boss qui nous défient tout au long de notre aventure. Pourtant, les Beauty and the Beast dans
Metal Gear Solid 4 ont divisé les joueurs. Sans personnalité ni cinématiques larmoyantes, leur histoire est aseptisée… mais n’est-ce pas propre à leur époque ?
L'hommeDéjà dans le premier
Metal Gear Solid, les Boss sont plus que des sacs à point de vie, ils ont une densité humaine et un vécu. Le chamanisme de
Vulcan Raven, les pouvoirs mentaux de
Psycho Mantis, le corps mécanique de
Gray Foy sont autant d’indications sur la nature de nos adversaires, d’un passé militaire qui a forgé leur personnalité. Leur façon de combattre est aussi un indice,
Sniper Wolf utilise un Sniper pour se tenir à l’écart du traumatisant champ de bataille, tout en participant au massacre. Les adversaires que l’on affronte sont des guerriers au même titre que Solid Snake, ils en sont le miroir. Tout comme lui, ils combattent pour vivre le moment présent, ils enfouissent le passé et ne se préoccupent pas de l’avenir. Le duel devient un moment privilégié où le temps s’arrête et les guerriers s’opposent dans un combat à mort comme les duels fantasmés des Samurais. Il se crée alors une intimité entre les deux êtres qui apprennent l’un de l’autre en croisant le fer. La guerre prend une dimension personnelle, la mort est l’ultime récompense pour des guerriers qui attendent de périr l’arme à la main, le dernier souffle est un moment authentique pour le vaincu qui se confie au vainqueur.
Les Boss de
Metal Gear Solid 2 sont dans la même veine mais plus torturés. A l’image de Gray Fox, ninja cyborg qui cherche à s’oublier dans la douleur physique,
Vamp et
Fortune sont lassés de vivre et attendent celui qui pourra outrepasser leur immortalité. Les Boss de
MGS 3 sont une exception, ils ont une fâcheuse tendance à… exploser ! A l’inverse des vétérans dans
MGS 1 qui se sont construits sur le champ de bataille, les Boss de
Metal Gear Solid 3 sont vidés de toute psychologie. Ils sont l’incarnation des afflictions de la guerre, des émotions qui submergent les soldats.
The End et la mort,
The Furry et le désir de destruction,
The Sorrow et la tristesse. Lors de la confrontation avec ce dernier, les spectres des soldats abattus viennent nous hanter et leur nombre dépend de nos tueries.
Parmi tous les Boss que l’on affronte, ceux qui nous combattent par idéalisme sont particulièrement marquants et font figure de Boss Final. C’est dans une ambiance mélancolique que l’on assassine
The Boss, entre symbole et absurdité, sacrifiée au nom de son pays.
Solidus dans
MGS 2 forme son unité d’élite, Sons of Liberty, pour combattre l’emprise des patriotes mais nous l’empêchons de mener à bien son entreprise et l’on permet ainsi l’avènement des “Sons of Patriot”. Généralement, les boss et même le simple troufion sont les fils d’une époque, comme l’atteste l’armée génome ou celle entraînée virtuellement et contrôlée par des nanomachines. Aussi, même si
Metal Gear Solid adore multiplier les intrigues intimes avec la fraternité Solid/Liquid, Solidus qui a élevé
Raiden et autres révélations aussi passionnantes et tirées par les cheveux qu’un épisode de Moins Belle la Vie, les personnages sont représentatifs d’une époque dont ils sont les esclaves mais qu’ils influencent jusqu’à en changer le visage définitivement dans
Metal Gear Solid 4.
L'épée Une particularité des vieux films nippons que j’ai eu l’occasion de regarder, c’est qu’un récit même centré sur un seul homme, s’étend toujours à son environnement social et devient le témoignage d’une société, de sa mentalité et de ses valeurs. Par exemple, Le sabre du mal de Kihachi Okamoto, un film japonais des années 60. Le film conte l’histoire du Samurai Ryunosuke dont la technique au sabre reste invaincue. En baissant sa garde, il invite l’adversaire à l’attaquer, le regard vide et impassible. Il dissimule ses intentions, l’absence d’humanité dans sa technique déstabilise et pousse ses ennemis à commettre une erreur. Il trompe avant de tuer avec cruauté, il est froid et efficace. Malgré ses victoires, son père n’est pas convaincu par sa technique qu’il considère sans honneur, le sabre est l’extension de la main et si le sabre est mauvais, alors celui qui le manie l’est aussi. Et alors que tout le film nous prépare à la revanche d’un jeune samurai désirant venger la mort de son frère, Ryunosuke provoquera sa propre mort dans un coup de folie. Le sabre de Ryunosuke a parlé, il succombe à sa démence, tue ses comparses et meurt à petit feu dans un bain de sang. Le film brille par son absence de duel romancé, de rivalité intime et de meilleur ennemi. Il ne reste que le chaos, la mort et le gâchis. Le Samurai n’est plus qu’une arme dans sa plus vile représentation, et il se fait l’illustration de la fin du régime Shogunal où les valeurs se perdent. Ryunosuke n’est pas juste un Samurai pervers, il est le nihilisme d’une époque sans repère où les intrigues politiques se multiplient et échouent dans le sang. Cette particularité de mettre en scène des hommes qui représentent les enjeux de leur monde, je la retrouve dans la série
Metal Gear Solid.
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Sabre pervers, homme pervers, époque perverse ? |
L'époqueLa guerre a changé ! Le dégoût, la haine et l’infamie ont disparu, elle est maintenant attirante, normalisée, propre et mécanique. La guerre a changé, les guerriers ont changé. L’apprentissage est devenu une perte de temps et de rendement, il faut être professionnel rapidement pour participer aux guerres privées. Le soldat s’adapte à son époque, elle ne lui demande pas d’être humain mais de s’insérer dans un système qui régule l’économie et les hommes. Plus que jamais, le soldat doit se conformer, l’erreur est un défaut technique, c’est rectifiable. Le courage n’est qu’une composante de notre cerveau, un bon dosage fera l’affaire. Le désir se crée, l’émotion est malléable, la mort n’est qu’une fin, vivre est un jeu. Les guerriers sont devenus parfaits, quelques nanomachines suffisent à nous rendre aussi performant qu’un Solid Snake. Arme vivante, l’homme est maintenant réduit à être le doigt qui appuie sur la gâchette. Peut-être sont-ils encore trop humains, ils ont en toujours l’apparence. Les recrues de «Pieuvre Armement» peuvent cependant être fières de leur slogan, une belle accroche Frenchy qui accompagne à merveille le logo de l’entreprise. Et que dire de la mascotte, monstrueuse pour tuer, féminine pour prendre la pose.
La guerre n’est plus idéologique, encore moins morale, elle est devenue économique. Dans ce cas, comment pourrait-on de nouveau affronter des adversaires avec un vécu alors qu’ils ne peuvent même plus expérimenter le monde par eux-mêmes, les nanomachines réduisant la douleur et l’effort jusqu’aux émotions jugées inutiles. Beast and Beauty, ce sont des formatés qui assurent l’image d’une entreprise, finalement la belle et la bête ont enfin un point commun, ils sont tous deux à vendre. Intégralement déshumanisées lorsqu’elles portent leur armure bestiale, elles deviennent une arme au sens propre, leur corps se met au service de la guerre. La consécration du soldat.
Un pot-pourri que l’on connait bien.
Laughing Octopus hérite du pouvoir de mimétisme de
Decoy Octopus, les tentacules de
Solidus et la joie exubérante de
The Joy.
Crying Wolf se bat à distance comme
Sniper Wolf, hérite des larmes de
The Sorrow et utilise le raigun de
Fortune.
Raging Raven est aussi enragée que
The Fury et sa combinaison représente le corbeau de
Vulcan Raven. Enfin,
Screaming Mantis contrôle les vivants tout comme
Psycho Mantis et les morts comme
The Sorrow. Leur manière de combattre n’a rien de personnelle, elles n’ont ni expérience ni conscience, tout est emprunté aux guerriers qui les ont précédées. Les duels qui étaient auparavant intimes sont maintenant dépourvus de sens, pour la première fois, les soldats viennent s’immiscer dans la bataille pour être plus effectifs. La confrontation solitaire avec
Sniper Wolf laisse place à
Crying Wolf, triste animal accompagné d’une troupe de soldats pour l’épauler. Elles représentent leur époque où tout est vide, soldats de plomb se détournant du monde en s’enfermant dans un trauma, dans une seule et unique émotion.
Pour la première fois dans
Metal Gear, on peut épargner les Boss. Beast and Beauty sont les seuls adversaires qui auront ce traitement de faveur. Il n’est plus question d’affronter des guerriers qui regardent la mort en face, elles ne sont pas une menace, juste des femmes habilement recyclées par un système. Une enfant que l’on arrache de son armure comme du ventre de sa mère, une protection qui la tenait à l’écart du monde, et qui s’endort en position fœtale comme pour naître enfin. Et tandis que nos Boss d’antan nous avaient habitués à suffoquer dans leur sang pour bavasser un peu sur leur vie et leur passé torturé pendant que Snake écoutait respectueusement. Notre quart d’heure émotion avec musique et images se voit remplacé par une communication bête et méchante. Lorsque Drebin explique à Old Snake les épreuves terribles des quatre jeunes femmes, ce dernier lui demande s’il cherche à l’apitoyer. Drebin répond qu’il voulait juste qu’il sache. Et même si il le voulait, pourrait-il nous faire ressentir ainsi une situation, aussi horrible soit-elle ? C’est de l’information. A des lieux des duels d’antan, le lien ne peut se faire qu’à travers des données que l’on se communique. On n’apprend pas, on ne connait pas, on avale une information.
Les boss dans
Metal Gear Solid 4 sont décadents, Beauty and the Beast perdent en personnalité mais elles sont à l’image du système sans humanité qu’elles servent, absurde et sans âme. Après tout, lorsqu’il s’agit de promouvoir la guerre, le meurtre, un café ou même un article sur Mafia 2, a t-on besoin d’autre chose qu’une belle paire de fesses ?
Analyse écrite de la plume de
Bokurano de consolesyndrome.com. Un grand merci à lui ! N'hésitez pas à faire un tour
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