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Requiem et renaissance - Metal Gear Solid V comme un nouveau départ
06/06/2016 à 14:00
par Flying_fox
Introduction
Chap. 1 : Race « La course » Langage et identité Chap. 2 : Revenge Origines Destination Chap. 3 : Rebirth Never Be Game Over? Héritage maudit The Man Who Sold The World Conclusion Conclusion
Il a vécu si longtemps avec nous, s'est immiscé si intimement dans nos vies durant tant d'années, qu'on a fini par l'oublier : The Phantom Pain n'est pas un titre de jeu comme les autres. Dès son annonce, il interpellait par sa contradiction avec tout ce que MGSV était censé représenter : non pas un fantôme[76], mais une grande production bien en chair, extrêmement médiatisée. Non pas un vecteur de douleur, tout le contraire à vrai dire : une sorte de havre de joie, un nec-plus-ultra du divertissement (cette activité qui, par définition, vise à nous détourner de la peine). Mais il s'agissait pourtant bien d'un spectre insaisissable qui, dans les différents trailers du jeu, se substituait régulièrement au titre de la série, la faisait disparaître symboliquement avec lui. On n'appelle pas un jeu vidéo comme un cas clinique ou un traité de médecine. Mais Kojima l'a fait. Probablement parce qu'il se sentait capable d'insuffler, dans ces deux mots, autant de lyrisme que dans les dénominations de ses précédentes expériences : parmi les exemples les plus évidents, Sons of Liberty, Guns of the Patriots et Peace Walker sont des termes qui désignent la personne à qui s'adressent les jeux. On est ce à quoi on joue, et The Phantom Pain s'inscrit dans cette lignée. Quatre ans après la révélation de ce titre, on a tendance à oublier aussi à quel point il est chargé de sens symbolique. La douleur que les personnages ressentent vis-à-vis du passé est la nôtre, ainsi que celle de l'auteur, à une étape-clé de notre cheminement commun autour du média qui nous rassemble. C'est une chose évidente à présente et pourtant, elle ne l'a pas toujours été. En tout cas, on ne pensait pas qu'elle allait autant nous concerner : en admirant les trailers successifs de TPP, nous attendions, fébriles, d'être les témoins de la tragédie d'un homme. Mais voilà, il ne s'est pas laissé faire, et nous a fait vivre la nôtre... L'ultime regard que nous lance Big Boss, c'est celui de sa victoire, et de notre chute. De son commencement, et de notre fin. Ou plutôt, notre stagnation : en appelant son jeu ainsi, en mettant l'accent sur la peine plutôt que le remède, Kojima savait déjà que nous n'arriverions pas à nous affranchir du poids du passé, de nos identités successives et nos vengeances interminables... Toutes ces vieilles lubies qui coulent comme du venin dans nos veines, et dans celles de notre avatar. C'est peut-être Code Talker qui résume le mieux là où Kojima voulait en venir avec cette obsession de la douleur fantôme, dans une conversation avec Kaz : Kaz : Nous avons vaincu Skull Face. Mais ça n'a pas amoindri notre douleur. Cette douleur, nous n'en serons jamais débarrassés. Je le vois à présent. Mais je pensais pouvoir la consumer. Au final, tout ce que j'ai consumé, c'est nos propres hommes.
Code Talker : Nous avons tous les deux laissé la vengeance ramper jusqu'à nos esprits et y pondre ses œufs (...). Il n'y a pas d'autre choix que de vivre dans cette douleur. D'être en relation symbiotique avec notre nature vengeresse. Quoi qu'on fasse, nous ne devons pas laisser cette soif de vengeance nous contrôler.[77] En d'autres termes, nous devons apprendre à vivre avec les émotions provoquées par la perte, sans toutefois nous laisser dominer par elles. Notre douleur doit rester fantôme, détachée de nous, bien qu'elle loge en nous comme un parasite et se rappelle sans cesse à notre réalité. C'est ce que disait The Boss dès MGS3 en comparant, comme Code Talker, la douleur à une créature rampante, insidieuse. « Il n'y a plus rien en moi désormais. Rien du tout. Pas de haine, pas de regrets. Mais parfois, je peux encore sentir la douleur pénétrer à l'intérieur de moi. Ramper dans mon corps ; comme un serpent. » Même les plus vertueux restent perpétuellement torturés par la douleur : ils peuvent se défaire de tout, sauf d'elle. Le programme du professeur Kojima est donc un exercice difficile. Il implique qu'on soit envahi par une émotion tout en restant lucide à son égard, c'est-à-dire reconnaître qu'elle nous rattache au passé et nous empêche d'aller de l'avant. « Dans notre lutte pour survivre au présent, nous repoussons l'avenir » : l'auteur, lucide comme jamais, se rend compte qu'il n'a que trop retardé son départ et par-là même, l'opportunité de nous laisser, comme lui, face à une page blanche. Aux yeux de Kojima, ce retour à la case départ n'est pas un échec : au contraire, il s'agit d'une situation extrêmement positive. Pour en comprendre la raison, il faut retourner à MGS4, et à l'interprétation du mot « Sense » par James Howell. « Sense » décrit un état de stagnation spirituelle ou créative – une routine. « Sense », c'est un ensemble de motifs capables de nous définir, mais ces motifs peuvent aussi nous faire du mal si on les laisse limiter notre croissance future. Cette stagnation est opposée au concept taoïste du « p'u », qui désigne le retour à un état neutre et innocent, un bloc vierge qui représente « la réceptivité et la simplicité du commencement ». Nul doute qu'aux yeux d'un auteur comme Kojima, un tel état de grâce constitue un idéal à atteindre, une source d'inspiration mille fois préférable à la répétition constante des mêmes habitudes qui, bien qu'elles fassent partie de l'identité d'un artiste, l'empêchent de progresser et l'enferment dans un cercle stérile. Pour un auteur, la routine est l'ennemi du renouveau, la stagnation est un sort qui peut sembler pire que la mort. Kojima ne se prive pas de le rappeler dans P.T. également. « Papa était tellement chiant... Chaque jour, il mangeait la même nourriture, s'habillait de la même manière, s'asseyait devant les mêmes jeux... Ouais, il était ce genre de gars. Mais un jour, tout d'un coup, il nous a tous tués ! Il n'a même pas pu se montrer original dans la manière dont il l'a fait. Je ne me plains pas... Je mourais d'ennui, de toute façon. Mais devinez quoi ? Je vais revenir. Et j'apporterai mes nouveaux jouets avec moi. » Voilà donc l'objectif poursuivi par Kojima à travers MGSV : briser le cycle, afin de renaître et d'en créer un nouveau, avec des jouets tout neufs. Comme un tremplin, MGSV a été conçu pour mener à ce but. Le jeu entier est une métaphore gigantesque de la situation de son auteur à une période charnière de sa vie, celle d'un deuil nécessaire à envisager l'avenir avec confiance. Pour paraphraser encore James Howell, dans son analyse de MGS2 cette fois, la clé du jeu n'est ni son script, ni sa narration, mais l'intention dont ils sont tous deux au service. Ça tombe bien, car MGS2 et MGSV partagent exactement la même intention : celle de libérer leur auteur et leur audience d'un cycle infernal. L'un l'a peut-être fait trop tôt, l'autre trop tard. On pourrait arguer que cette libération constitue l'objectif de tous les MGS de Kojima. Il invite perpétuellement le joueur à « prendre le flambeau » (Snake dans MGS2), « apprendre le reste par lui-même » (The Boss dans MGS3), « vivre à l'extérieur » (Big Boss dans MGS4). MGSV est l'aboutissement de cette volonté tenace de l'auteur que son public principal, les « digital natives », ne deviennent pas des « digital naives », prisonniers de leur carcan numérique. TPP est un dernier éveil – ou littéralement, un réveil – de nos consciences engourdies par notre soumission volontaire à un cycle sans fin de vengeance virtuel, au sein d'un univers où on peine à distinguer ce qui nous est violemment imposé de ce qui nous est librement transmis. A notre renaissance potentielle, le jeu oppose un véritable enfer : les limbes d'une fiction prise en otage, où le joueur est lui aussi tenu en joue, aussi longtemps qu'il restera au service du Big Brother borgne dont il accepte avec joie de porter le visage. « Combien de temps serons-nous hantés par ce qu'il a a laissé derrière lui ? », s'exclame Kaz à l'issue de la mission 31[78]. Bonne question, que nous devrions tous nous poser, en particulier ceux qui imaginent une issue au chapitre 2. La réponse est tellement simple qu'elle échappe totalement à Miller : nous serons hantés aussi longtemps que nous déciderons de troquer notre identité par soif de vengeance. Le moment est donc enfin venu de « laisser ce monde tel qu'il est », d'éprouver la joie d'y avoir vécu... Mais aussi le désespoir de ne pas avoir connu le « jour de la Paix ». La conclusion du journal de Paz aurait tout aussi bien pu être prononcée par Kojima lui-même. Inexistante, disparue depuis longtemps, la jeune femme est le vecteur idéal de la pensée de son créateur. Lui non plus n'a jamais eu droit à son « Peace Day », pas davantage que le joueur. Les mots de Paz sont particulièrement blessants, « tueurs », si on les imagine destinés à nous-mêmes : aucune de nos actions dans cet univers fictif n'a de sens, ni de noble intention, ni de potentiel de rédemption. Qu'importe qu'on soit le rêveur ou celui qui a fabriqué le rêve[79], puisque celui-ci n'a pas de fin, pas d'issue. La cassette finale de Paz clôt, de la seule manière possible, un chapitre 2 conçu comme une effrayante parodie du jeu vidéo, une dévalorisation des grandes ambitions de ce média, ainsi qu'une réflexion bien pessimiste sur la responsabilité de ses auteurs[80]. Tout comme le conflit mondial de 1984, nos guerres virtuelles ne déboucheront jamais sur aucune forme de paix[81]. Heureusement, les dernières paroles de Paz contrebalancent ce sombre tableau. Certes, pour Kojima, la Mother Base – théâtre symbolique d'une époque bénie – n'a pas tout à fait été le paradis espéré. Mais « la paix hypocrite » qui s'y est temporairement installée l'a rempli d'une joie qu'il espère que nous ressentons aussi, et qu'elle nous aidera à libérer notre « émotion réelle » : celle qui germe au milieu des pixels mais prospère à l'écart de l'écran, sur le terreau fertile d'une page blanche. Après tout, pourquoi pas ? Comme Kojima Productions, nous avons la capacité de « tenir debout sur des jambes absentes », de transformer la douleur en force, le venin en antidote, le requiem en renaissance. Comme les créateurs du jeu, grâce à l'expérience qu'ils nous font partager à travers leur œuvre et leurs personnages, nous restons des lumières étincelantes, y compris dans la mort soudaine de l'univers qui nous a liés. Et c'est là, dans l'entrebâillement de la porte, au moment où nos mains se chevauchent, que la vérité nous est révélée sous la forme d'un message familier, déjà entendu il y a dix ans, une prophétie devenue réalité : « nous n'avons pas de lendemain, mais il y a encore de l'espoir pour l'avenir.» De l'espoir ? Pour nous, qui « tenons nos fusils dans des mains absentes » ? Peut-être celui qu'on les laisse tomber. Et qu'on dise, à notre tour... « Peace » ?
Notes : [76] À cet égard, nous ne sommes pas forcément plus lucides qu'Achab dans l'adaptation cinématographique de Moby-Dick de 1956 : il chasse un fantôme pendant des années et, lorsqu'il s'y confronte enfin, termine sa vie ligoté à ce spectre, dans l'incompréhension totale de ce qu'il représentait vraiment. [77] Cassette "Ce qui s'est passé dans le laboratoire [3]" [78] Cassette "Ce qui s'est passé dans le laboratoire [3]" [79] Le film inachevé présenté dans le documentaire Jodorowsky's Dune (plusieurs fois cité par Kojima durant et après le développement de TPP) était censé "ouvrir l'esprit" de son public, le réveiller. Jodorowsky admet que "Dune existe à l'état de rêve", mais ajoute que "les rêves ont le pouvoir de changer le monde". [80]"Nous achetions notre pain quotidien avec de l'argent qui nous était donné pour tuer. Le fait qu'on ait été tués est peut-être un juste retour des choses." [81]"Rien (de ce que tu fais) ne va me faire revenir", dit le personnage dont le nom signifie "Paix".
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Chap. 1 : Race « La course » Langage et identité Chap. 2 : Revenge Origines Destination Chap. 3 : Rebirth Never Be Game Over? Héritage maudit The Man Who Sold The World Conclusion
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